Arcanes de Paris

 

est un recueil illustré par Claudine Goux et Patrick Guallino, encore inédit sur papier dans sa totalité, mais dont de larges extraits ont été publiés en juin 2003 dans la superbe revue des éditions Tarabuste, Triages n°15.

Depuis le 13 octobre 2002, l'on peut lire la totalité du texte sur le site Pleut-il.net :

http://pleutil.net/
création-réaction littéraire

Revue Triages, juin 2003

 

 

En voici le début...

 

dans mon filet à tourbillons
la ville prise

poisson-chrysalide

--

fragments d'écume majuscule
mousseline bouillonnante

derrière soi
en dessous
la boue qui colle aux bottes

--

embaume le parfum

dès le périphérique
l'exaltation

la gorge serrée
le flux en filigrane
je flaire déjà

--

braconnage sans limite
sans âge
les ombres des amples résidences
océans pour durer

--

métamorphose de l'île
night-clubs
peintres
bardes griots

les plumes en l'air

--

au flacon des fragrances
mêlées
sueur vanille
gingembre
dior d'après-rasage
sauge piment
safran
anis

bétel cannelle
cubèbe
paprika curcuma
cumin curry

émotions paris sent bon

--

bonheur capital

narcisses
pensées

acomptes acidulés

--

bouchons
engorgements encombrements
afin de mieux contempler

--

des quatre par trois
placards publicitaires à demi arrachés
refaits

risettes et grimaces
émerveillantes

--

haute mer facétie
les noms de stations
chemin vert pyrénées
place des fêtes
gaieté
plaisance
histoire géographie
d'exquise rêverie

--

le métro devine-t-il
vraiment

il aboutira

--

gouffre tempête
les précipices guettent au coin
pour qui ne sait scruter

robinsonnons

quels sont donc
les dangers

--

pareils à autant de vers
épigrammes effacés
inscriptions griffonnées
gravées

vivantes

--

prestigieux louvre pyramidal
animal colossal
et la bibliothèque
immense

--

pics et aiguilles

sommets
à étudier

--

flambant dans l'air du couchant
l'horizon
déverse ses énigmes
flèche de notre-dame
insaisissable
et moi
athée

--

fluide conduite aisée
promenade
dimanche avant onze heures
cette quiétude

à distance des braderies

--

les cars tremblants de pétales et pistils
langues variées
en bouquet

--

là-haut
à l'espagnolette
balconnière amoureusement arrosée
goutte à goutte

--

aux tissus anciennement dévolue
halle saint pierre
rondeur de bedaine galbée
de chapiteau

dans son halo de paisibles clairs-obscurs
et lumières

chaque étage
ses trésors

et la librairie
antre magique inépuisable

l'entrechoquement
des bocks de l'amitié

--

ah
ma dose polluée
dès les correspondances les tickets
et leurs portillons
sortilège de la saleté

--

j'aime
les coursives bondées

--

fragile ville sage
débridée
tout est permis

--

un store baissé
grand large

biaisons

escales à observer

--

le lendemain
accord
circuit à réinventer

--

l'asile des enfants incurables
villejuif
gare des marchandises
et le reste

--

les croissants incomparables
saveur arquée
échancrée
légère

fusionnant dans les mémoires

--

couloir vide
la peur au ventre
le tintamarre du quidam qui arrive

--

mikado des badauds
sur mon radeau j'explore
ce plein eldorado

--

sorbonne
en tes amphithéâtres
arènes impitoyables

--

les implacables limons
délectables alluvions

arrondissements composites

--

quatorzième étage
septième
cinquième
bâtiment A
cour du fond
entrée à gauche

le jeu de piste se poursuit

--

abyssaux éphèbes et centenaires
jouvenceaux patriarches
dandys gentilshommes
conquérants insolents

perdus
paumés

de confiance
de génie d'esprit
de goût
d'espoir

de peu

--

volets ouverts
sur l'aventure anonyme
des yeux qui pétillent

l'espace d'un battement
de paupière

--

à composter les directions
charades
rébus charbonneux

--

kiosques
amulettes contre le gris
l'émeraude
et les becs inlassables

--

rivages miettes et régals
dans le silence
et le klaxon

--

montée de sève
dans les parcs
squares
pots de géranium
les nombrils se dénudent

--

beaubourg drapé de dignité
vieux monsieur
vieille dame
quel est donc ton sexe
ô corps de verre et de poutrelles trempées

--

escalators et corridors blancs
tags
graffités le long des veines
sans venin

--

tonnelles
tuileries
folies et splendeurs
y vocalisent les rossignols

--

slogans de la réclame
fables citadines
dépêches invisibles

--

sonorités
rythmées

à la majorité des impasses
tumulte tenace

--

à l'oblique
brasserie restaurant
chinois japonais javanais hollandais libanais

au plus bigarré
toutes les succuleries

--

dans les tunnels
peur imperceptible
à l'arrêt
les attentats toujours là

--

rue des cinq diamants
rue des mille bornes

et des théâtres combien

--

velours rouge
cramoisi l'or des boutons
ouvreuses centuplées dans les cristaux des lustres
candélabres et torchères

--

tout un poème
centre pompidou
pi dou

magnétique boussole

--

dans son écrin de bohémiens
charnière littorale les baladins

danseurs mimes bouffons
dessinateurs de mines
caricaturées
trognes
croquées
comédiens ambulants

acrobaties
jongleries

les saltimbanques
autour d'eux
tant d'excitation
d'agitation

--

dans la nuit
les lampes
si peu de rideaux
existences qui ne se cachent pas

--

apparences
traces
qui se dévoilent

--

enseignes vétustes lumineux panonceaux
lames et vagues
dans le clignotement

--

montmartre place des vosges
immanquablement la carte postale

--

lavoir en sus
puces et astuces

--

rivage la fontaine niki très phallienne
tinguelienne
en son coeur
tourbillonnant

machines noires
grinçantes et crachotantes

et la sirène aux seins cibles fleurs
la lèvre
le chapeau

figures obsédantes
dans leur disproportion
de carmin si coquin

--

grèves
anfractuosités
déferlement des profondeurs de leur colère
manifestants au pas cadencé
dans les noeuds de leurs projets
révoltés

--

perron à digicode
tout étonne

j'arrive de ma campagne
excursion à l'écart du cottage

--

cocon crépusculaire
chaque moment
insolite
ville inédite

--

campanile minaret
je vois chéchia kippa
mosquée temple synagogue
architectures et idées

au bord des temps

--

paysage qui se déverrouille
au loin

--

brume de fournaise
pavillon pavoisant

--

le pont des arts emmailloté
ficelles et toiles
christo l'a totalement

métamorphosé

--

rotondes dômes et colonnes
en trompe-l'oeil
les angles
illusions et reliefs

--

comme sous serre
les habitants
dans les artifices translucides
on les force parfois

 

statue presque transparente
les pigeons y nichent
les clochards
locataires du quartier l'ignorent
ne la voient plus

--

gyrophares et stridences
des policiers
des ambulances
la douleur qui va
qui vient

--

règlement affiché
personne pour le respecter
sur l'écorce au feutre ou au couteau
ferrailles
troncs
sculptés d'obscénités
ou de serments d'éternité

--

lachaise
la vie
la mort

--

arcades à l'ancienne
l'on entend claquer les pavés
où sont les chevaux
robes longues
les gibus
les gibets

--

les bateleurs sans fin
remous dans l'eau serpentine
indigo
dans l'eau irisée
barques rompant le calme

--

mosaïque des saltimbanques
funambules dépourvus d'autre fil
que celui de la ville

--

sur la seine
coulent sans peine
cailloux qui flottent
bateaux et mouches
rêves sans trêve

--

souvent le matin
agglomération endormie
ensommeillée

le secret des talons
claquant

bulles de bitume

--

la grille noire
surplombant l'hôtel particulier
à côté de l'immeuble moderne
fissuré
un hôpital
désaffecté

--

bastille rugissante
le verre s'ajoute au lierre

--

le carillon
aiguillon périodique
partout des pendules à quartz

--

marais cultivant le branché
le dernier-né
le dernier-cri

--

grand palais petit palais
aux marches
leur voûte de cristal

qu'un soupir ferait éclater

(...)

Couverture de Guallino

 

Illustration de Claudine Goux

 

Revue Triages, juin 2003