- Avis de tempête


Est une nouvelle

publiée par les éditions On @ Faim,

dans (Cahiers d')ECRITURES n°5,

en novembre 2001, pages 52 à 54

 

Avis de tempête

Pascal flâne sur la grève : la grande marée n'est pas tout à fait terminée, c'est comme si les langues des vagues voulaient dévorer les dunes, elles lèchent voluptueusement les pins, sautent, dans un fracas étourdissant. Pascal marche lentement, au milieu des attaques trépidantes des bourrasques.
Le jeune homme voit de joyeuses tâches de couleurs. Il en a l'habitude, ces résidus, apportés par les flots déchaînés, ces débris, - kaléidoscopes issus du royaume magique du plastique -, ce sont des jouets, peignes fluorescents en celluloïd délavé, aux dents ébréchées, des ampoules et des néons, parfois, des sacs poubelle, gonflés par les assauts du suroît, des bottes ou sandales perforées, de caoutchouc, des boules transparentes, ou colorées, mais vides - Pascal se demande d'où cela peut bien venir ! Des bouteilles, un littoral entier de litres d'eau minérale vomis par l'océan en colère.
Quelqu'un a rassemblé les déchets sélectionnés par les lames enthousiastes : il a planté des briquets, peut-être vingt, trente, quarante jolies fleurs polychromes, dans le sable humide. Une corolle de seau éclaté, des pelles en pétales, et un baigneur, brisé, le ventre percé, achèvent cette installation éminemment contemporaine, - d'art brut. Pascal sourit, il admire le gant plein de coquillages, dressé vers le ciel, dans des formes alanguies, souples, étranges. Épousant chaque doigt, il est noir, et non rose, ni même beurre frais ! L'index, fourré, s'élève à la verticale, on devinerait presque les premières phalanges, la crispation des nerfs.
Soudain Pascal s'aperçoit que tout cela n'est pas disposé au hasard. Hagard, palpitant, il examine avec attention les briquets. Leur organisation. Il compte, recompte. Avec intérêt, recense ces scories. Il faut qu'il rentre, vite, il y a danger, péril. Promptement, se réfugier, joindre un abri, réintégrer ses pénates. Si celui qui a composé ainsi ce message ne se trompe pas, - pourquoi Pascal mettrait-il en doute pareil avis ?-, la ville devrait être anéantie.
Il doit empêcher la catastrophe.
Pascal grelotte, transpire, Pascal n'entend plus les rouleaux, le grondement des déferlantes, Pascal ne perçoit que l'alphabet, clair, le florilège des détritus délabrés. Il calcule à nouveau le nombre de jetables, lance un coup d'oeil rapide et étonné sur les larges banderoles ondoyant au vent, bannières faussement abstraites, anonymes, aléatoires, les cuvettes, mosaïques de bassines écartées par la houle, arrêtées, immobiles, en cet endroit, justement, malgré l'exaspération des éléments Le soulier isolé, sans son pied droit, le nargue Les ailes de cellophane s'envolent, moqueusement caquetantes, impatientes
Le sens est clair. D'une limpidité enfantine.
Pascal écarquille les pupilles, soupire, s'active en marmonnant. Il presse le pas, entreprend de courir. Sa voiture, hélas, ne se trouve plus tout en haut de la butte, du côté de l'Observatoire. Est-ce exactement par là qu'il est arrivé, s'est garé ? Vite, il faut ne pas perdre une minute. Pascal n'aime pas que sa mère ait de la peine. Or elle n'appréciera pas du tout que la cité soit engloutie. Pascal se hâte. Ses enjambées se font nerveuses. Il multiplie les foulées, désordonné. Il va, vibre, tourne. Raide.
Effrayé.
Il glisse, heurte un vieux tronc, redoutable bois flotté menaçant. Rythme saccadé, précipité. Son pouls s'accélère de seconde en seconde. Pascal n'épongera jamais la terreur qui le glace.
Il est seul au monde.
Enfin, rongé par l'angoisse, il retrouve son véhicule ; d'une main tremblante il cherche à ouvrir la portière, - ses clefs lui échappent. Il doit répéter l'opération à maintes reprises Quelle est donc la bonne ? Elles se ressemblent toutes 
Pascal se cale contre le siège élimé, frémissant, essoufflé, la tête rejetée en arrière. Grisé par l'effroi, ses yeux papillotent. Comme un éblouissement. C'est l'air, - une question d'oxygène -, il a respiré trop d'air. Pascal sent son coeur vagabonder à fulgurante allure, agité de soubresauts, contractions qui l'épuisent. Il se sent faible. Éreinté.
Il est très fatigué.
Il ne sait plus du tout ce qu'indiquait l'avis, là-bas, sur la plage.
D'ailleurs, il a oublié qu'il y avait un message.