Exposition "Corps et âme" :

Magie Guallino

 

est un texte sur les reliquaires de Guallino, rédigé pour le catalogue de l'exposition à la salle Attane de Saint-Yrieix, au cours de l'été 2004.

Cette exposition très forte, de prestige, rassemblait pas moins que :
Aussant, Bignolais, Dupire, Guallino, Hadad, Labegorre, Massé, Morvan, Roudet, Rustin.

L'on trouvait également des extraits de la correspondance de Dubuffet à Ludovic et Claude Massé, de Duffy à Ludovic Massé, et de Martin du Gard.
Cette collective se déroulait dans un lieu superbe, du XVIIIe siècle, au coeur d'un riche patrimoine architectural, s'ouvrant sur une puissante Collégiale XIIIe siècle et d'une tour vicomtale XIIIe siècle. Succédant à Miro en 96, Rouault en 97, Tinguely en 98, Flanagan en 99, Picasso en 2000, Buffet en 2001, Matisse en 2002, 7 jeunes créateurs britanniques en 2003...

Guallino présentait là non pas ses oeuvres colorées, mais ses reliquaires, un ensemble plus primitif, inhabituel. Dans le catalogue, l'on peut lire un texte d'Anne Poiré, sur Guallino. Commissaire d'exposition : Catherine Dupire.

Magie Guallino

Primitivisme et art contemporain ? Cette insolite facette de l'oeuvre de Guallino est saisissante ! Il dresse en secret des personnages étonnants, - trésors de Reliquaire aux tissus clandestins, Fétiche à la boule de verre, au buis perlé, Icône à la pierre fendue, Tablette du contreciel, précieux Débusqueurs de vertiges, de barrières - , au coeur de formidables dispositifs. Il les pare, vigoureusement, en un amalgame de matières énigmatiques, rehaussées par le brou de noix, pièces de bois imbriquées, os, incisé, ou bien laissé tel quel. Il repère, embellit, métamorphose : avec densité. La soie est utilisée en seconde peau, surmodelant les masses : mystère enclos, sans doute plus fascinant encore, car "protégé" par cette étoffe, toute de suggestion... Voilà qui prodigue une présence singulière à ces figures anthropomorphes, hiératiques ! Fibres végétales, cheveux, cuir, graines, bouts de ficelle, cordelettes, tressages, enfilages, coquillages, pigments appliqués ici ou là, robes d'osier... les matériaux ne manquent pas. Ce qui est extraordinaire, c'est que ces fragments deviennent un tout d'une unité incroyable.
Branches gravées, masques à trous d'ombre, marques chargées, en ex-voto foisonnants, le résultat est d'une solennité troublante. Ces représentations ont une puissance expressive exceptionnelle !
Si certains titres laissent croire à la couleur, comme le Protecteur jaune au triangle rouge, que l'on ne s'y trompe pas. Le peintre s'efface derrière le sculpteur, lequel choisit ses lignes et volumes selon les lois d'une logique ancestrale : son besoin intérieur.
Devant pareils totems, raides, sévères, corps imposant, le silence se fait. Ces trophées scarifiés existent en assemblages, parties d'un grand tout, - la vie, l'art. Ensemble organisé. Ils sont mosaïque, unifiée, par la volonté du créateur. Les lacets, les morceaux d'écorce, la filasse, les crânes insérés, enchâssés, les étoffes se mêlent. L'armature disparaît...
Guallino accentue ses effets, en faisant en sorte, en général, que l'on ne puisse dégager ses yeux de ces verticalités, impressionnantes : centraux, dans cette construction, les regards découpés, aux orbites creusées... Des dents grinçantes, ou serrées, surgissent, largement ouvertes sur le vide, têtes recrachant des lainages barbus. Autant de signes, d'appels, autant de cris muets, qui trouvent leur écho en toutes nos fêlures. Ces "ancêtres" soigneusement façonnés, dus à une profonde nécessité intérieure bouleversent par leur présence-absence....
Cet art à vif, n'a de cesse d'interpeller le spectateur. Il va au-delà de ce qu'il montre... Mémoires de cérémonie, aux vertus positives, bénéfiques. Renvoyant à des intensités, des liens archaïques.
Sur la charpente de forme humaine se greffent, mille et uns intrigants galons, tiges, miroirs, supports, éléments complexes, qui se combinent, homogènes, jusqu'à fusionner en une seule et même émotion.
Cela seul compte.

Ce rendu, cette force.

Magie de la mort sublimée.
Magie de l'art, qui donne à voir, à penser.

Anne Poiré