Fabliau

De Cyan et Carmina

 

 

De Cyan et Carmina

est un fabliau d'Anne Poiré, rédigé au départ dans le but d'être mis en musique. D'inspiration médiévale, il joue avec la rime, mais librement, car comment ne pas s'affranchir des règles, lorsqu'on est écrivain, au XXIe siècle ?

 

 

En voici le texte complet :

 

Le narrateur
Oyez, oyez, seigneurs et dames,
Je veux vous parler en cet instant,
De belles histoires de jadis :

Sans balivernes,
Ni mensonges païens,
Pieux ou honteux,
Ni âneries,
Pour épater la galerie.

Des histoires à rire,
Des histoires à pleurer.

Il sera ici question,
Sans raccourci,
Du jeu d'Olivier,
Des fabliaux
D'Anne Poiré...

Ils mêlent grands,
Élevés et hauts sentiments.

Ils allient aussi
Gourmands paysans
Plumant les oies,
Chapons tournant avec délectation,
À la broche pointant.

Un paysan
"Miam, miam, miam !
Moi qui vous cause,
Dedans mon ventre,
Toutes les manigances je combine.
Toutes les tromperies,
Pour ma bedaine,
Boyaux et panse,
Toutes les félonies,
Trahisons, forfaitures,
Moi très "preux",
"Sage", "vaillant",
Moi "sincère" et "honnête",
Pour une bouchée,
Jamais je n'hésiterais !"

Le narrateur
Rôtissoires et lèchefrites,
Aux ménestrels,
Heureusement ne font peur.

De même qu'aux troubadours, aux jongleurs,
Bateleurs, saltimbanques,
Acrobates et rêveurs,
Les chagrins, afflictions,
Et d'amour ceux qui meurent.

Pour vous séduire, tous ces récits
Mêlent voleurs,
Friponnes et gueuses,
Canailles minaudant...

Pour vous charmer,
Ces lyriques poètes,
Sans lésiner
Divinisent et glorifient,
Pareille à candide âme,
L'irremplaçable Femme.

Chevaleresques et courtois,
Tous ces seigneurs énamourés,
Ils n'atermoient
À rendre leur Dulcinée,
Ces bienheureux,
Bien mieux qu'un vil putois :
Fées,
Distributrices de joie !

Une femme
"Vous, seigneur,
Ne larmoyez, ni ne désespérez :
Car cette inclination,
Qui votre coeur
Tout entièrement empli,
Déborde tant
Qu'à trente lieues,
D'ici là-bas,
L'on vous entend,
Fidèle et sage,
Afin que nul n'ignore,
Par cor, et par vacarme,
Combien de piété,
Pour moi vous palpitez.
Vous m'en voyez flattée,
Ô seigneur !
Vous m'en voyez me délecter.
Lors,
Vous parviendrez...
Sans doute...,
... Un jour...
... À m'amadouer..."

Le narrateur
Les ménestrels évoquent également,
Afin de leur public
Charmer, enthousiasmer,
Brigands, chenapans, garnements,
Bandits, gredins,
Et toutes sortes,
De drôles de sacs à vin.

Et tous ceux que vous voulez,
Tous ceux que vous pouvez,
Même difficilement imaginer !

Moi qui vous les raconte,
Je vis en vrac,
Je vis en vrai,
Et non dans mon sommeil,
En cette vie,
Et non durant mes nuits,
Ces aventures cocasses,
Mésaventures pendables,
Fortifiant
Héroïques zygomatiques.

Ces sympathiques,
Et non moins mythiques destinées,
S'affirment éminemment comiques :
Car les affreux prêtres,
En ces affaires,
Éternellement furent dupés,
Et les conjoints,
Trouble-fêtes importuns,
Rabat-joie,
Encore bien plus bernés !

Ainsi
L'un des maris
Dit :

Le mari
"Il me semble étrangement,
qu'en cette mienne habitation,
Des paroles m'inquiètent...
Des sons particulièrement mâles,
Ou curieuses ces voix
Qui ne rappellent point la mienne...
En la proximité,
De dame mon épouse,
En la proximité,
De chaste ma fiancée..."

Le narrateur
Sa femme lui répond,
Fort,
Afin de le tromper :

La femme
"Tout fol, pourquoi pareille rage !
En l'absence
De mon seigneur et maître
Ce sera ce coquin de valet
Venu impudemment dérober
Quelques grains de millet,
Que je suis en train de rosser,
Et de bien molester.
Ce sera ce coquin de valet,
Venu effrontément
Nous dépouiller,
Que je suis en train d'écharper,
D'arranger..."

Le narrateur
Et le mari berné,
Comme de juste,
S'en ira rassuré...

Le cadre ?
Vous le connaissez :
Si c'est une cathédrale,
Réservée
Aux fanfaronnades profanes,
Ou aux saintes émotions,
Avec gargouilles,
Transept,
Nef,
Ogives et voûtes,
Fort bien proportionnées,
Elle abrite forcément
Quelqu'enflammée Esméralda,
Un délicat Quasimodo,
Manifestement,
Paradoxalement,
Très très très Adonis,
En ses grotesques,
Fantasques ornements.

En ces lieux se donnaient rendez-vous,
Pour échapper au pendard,
Vieillard en plus d'être jaloux,
Ayant convolé avec pareille beauté,
Deux tourtereaux éplorés :
Ils craignaient
D'être définitivement séparés.

Les amoureux (duo)
"Souvent je me plains,
Souvent je soupire...
Qu'il est long de se languir...
Souvent je frémis,
Souvent je palpite.
Et ce mari,
Toujours à guetter,
Éternellement,
À nous faire surveiller..."

Le narrateur
Ces deux amants,
Sempiternellement
Chaperonnés,
Auraient fini
Par être réellement éloignés,
Si un sac à malice,
Madré rusé,
Malin matois,
N'était venu
Gentiment les aider...

Ailleurs l'écrin
De pareilles immorales épousailles,
Est bien plutôt
Confortable maisonnée.

Du feu bien chaud,
Une suave fumée,
Sortant depuis
L'épaisse cheminée,
Avec armoires,
De linge bien emplies,
Cuves ou placards,
Où cacher les amants,
Encore tout surpris,
D'être à peine,
À peine sortis du lit,
Obligés de se ainsi celer.

L'amant
"Moi ici !
Moi dissimulé,
Dedans ce cagibi !
Vraiment c'est du joli !
Moi ici !
Dedans ce palais
Point si joli
Levant le pont-levis :
Je ne peux,
Très bientôt,
Plus du tout respirer... !"

Le narrateur
Et la couleur locale,
Vous la pouvez envisager ?

Des lavandes odorantes,
De sauvages coquelicots,
En plein champ,
Et proches du ruisseau,
Des marguerites,
Un peu, beaucoup,
Passionnément, à la folie...

Et surtout,
Pas du tout d'orties,
Ni des ronces,
Tapissant les soucis...

Et des crocus, des boutons d'or,
Des blés à écraser,
Épanouis,
Ravis,
D'être ainsi
Pareillement cueillis
D'être ainsi
Pareillement
Pressés,

Moissonnés,
Pulvérisés...

La dame
"Je suis votre servante, monsieur,
Par vos bras
Tendrement enlacée.
Rien au monde
Ne me ferait d'ici bouger !"

Le narrateur
Ils sont nombreux, ces lieux galants,
Vitraux, pyrotechnie,
Inouïs douillets tonneaux,
Crépusculaires rivières,
Populaires,
Claires fontaines,
Lavoirs et coins des bois,
Comme autrefois
Pour se faire en amis,
Mille et une promesses.

Voire, bien plus encore,
De solennelles gentillesses...

La dame
"Seigneur
Pas question de discuter !
Vous pouvez dire,
Ce que vous voulez,
Je n'accepterai,
De vous,
Qu'encore plus de baisers...
Vous pouvez faire,
Ce que vous voulez,
Je n'attendrai, de vous,
Qu'encore plus,
Bien plus,
De virtuosité... "

Le narrateur
Ils sont légion,
Ces extravagants chevaliers,
Qui au diable,
Leur âme,
Feignent de vendre,

Qui pour un corps à corps,
Même le démon,
De minuit étreindraient...

Prêts à tout dilapider,
Pour mieux ensuite,
Le diablotin,
Gentiment berner...

Pour mieux
Finalement...

Réussir...

À l'abuser et le tromper !

Chevalier
"Diablotis, diablotins,
Toi Satan,
Et toi Belzébuth,
Toi Astaroth,
Cerbère aux cornes de la peur,
Diabolus,
Diabolicus,
Je vous bernerai,
Je vous duperai,
Lucifer,
Je le ferai,
Diables, diables,
C'est juré !"

Le narrateur
Ces affaires...
Jadis eurent lieu...
Ces protagonistes
Ancestraux,
Ces héros,
Non-conformistes,
Se sont dedans la tombe,
Depuis longtemps,
Enfin chaleureusement,
Entre eux,
Habilement réunis.

Qui avec qui ?
Cela seul,
La chanson
Ne le dit pas...

De tous ces morts,
Laissons les larmes,

Occupons-nous des vivants !

Et qu'à cela ne tienne,
Observons
Du côté des gens attrayants...

Réjouissons-nous,
Pour ce qui est des manants,
Ou de ceux
Qui ont du tempérament...

Ceux qui,
Tel le chapelain
De Tours La Riche,
Ou le curé de Saint Glinglin,
Amoureux de belles miches...
De pain...

Ils vont dans la maison
De leur radieuse Vénus
Très souventement,
Et point seulement
Pour le gingembre,
Et le cresson,
Que l'on y vend...

Dès que revient le mari,
Ils se décident à vanter,
Non pas les dames épicées,

Mais herbes, cumin,
Poivre et tutti quanti,
Sel et tutti frutti...

Elle/lui (duo)
Quelles saveurs,
Que ce piment !
Tout ce piquant
Fait mon bonheur !

Succulent,
Délicieux,
Excellent...

Quelle douceur,
C'est envoûtant !

Quelle douceur,
C'est excitant !

Quelle douceur,
C'est exaltant !

Tout mon bonheur
Fait ce piquant

Succulent,
Délicieux,
Excellent...

Le narrateur
Cuisine et gastronomie,
Les drôles apprécient

Sérieusement.

Ils goûtent savamment,
La bonne chère,
Et bombance, et ripaille,
Pour eux n'ont nul secret...

Lors le mari, flatté,
les invite même à dîner !

Oui,
Distrayons-nous,
Nous, les vivants !

Quittons les morts,

Repartons,
Du côté des marrants...

Et en ces fabliaux,
Ce ne sont pas seulement
D'incultes indigents,
Voire des ignorants :

Comme ces libraires,
Qui en leurs voisines déchiffrent...
À livres ouverts.

Et affublés
De volumes entrouverts,
Enluminés,
Ô les très rares incunables,
Les voici qui vont,
Sans tergiverser,
Du côté de leur feinte fiancée,
Dont ils goûtent
En fin lettrés,
Tous les majuscules
Et minuscules attraits !

Elle/lui (duo)
"Reliures, jaquettes et signets,
De votre couverture,
Porte-folio, in-octavo,
Bibliophile,
Je suis réellement
Très amateur,
Inavouable collectionneur...

Absolument tout un florilège,
Et une anthologie,
De vos meilleurs morceaux,
Je compte faire une orgie !
Le fleuron de vos pages,
Recto,
Verso,
Paragraphes et chapitres,
Je compte décoder..."

Le narrateur
Lors, chargeons-nous,
Des bons vivants...
Repartons,
Du côté des impertinents...

Ainsi,
De cet inestimable architecte,
Qui daigna comparer,
Sur son passage,
Bien majestueuse dame,
À un fastueux bâtiment...

En expert, il la complimenta,
Et elle, aussitôt,
À mi-mots,
Insinua :

Elle
"Sire, vous tombez bien...
Merveille de l'édification,
Cette tour, qui penche,
Au sud de votre nord,
Au nord de votre sud,
Franchement me fascine :
Sans planification,
En respectant les proportions...,
Par-delà toutes ces fortifications,
J'aimerais la redresser,
Si vous acceptiez,
Pour cela de m'aider !"

Le narrateur
Lors, occupons-nous des vivants,
Laissons les morts,
Repartons du côté des amants...

Ceux qui se prennent dedans leurs bras,
Et qui s'embrassent à pleine bouche,
Ceux qui explorent...
Lèvres, paupières,
Le visage tout entier,
Et bien encore davantage...

Ou bien des ruses :
Que leurs mésaventures,
Leurs adultères,
Leurs vols également,
Dérident, fassent rire,
Fassent sourire et applaudir...

Vous allez entendre,
Des vers bien rimés :
Ces deux brigands,
Qui s'insultaient...
Voilà qu'un troisième s'interpose.

Aussitôt
Horribles cris,
Haro
Pour soprano...

Grognements,
Hurlements,
Glapissements...

Pour ténor
Et baryton,
Vociférations,
Avant l'acclamation...

Et encore mieux :
Une vielle à archet,
Toute une musique à l'avenant,
arrangée
pour vous dérouter...

Les brigands
"Maraud !
Faiseur de mégots !
Pendard !
Arrangeur de mauvais lard !
Singe du méfait,
Tu finiras tout dépecé !
Chien tout affamé !
Vrai mâtin !
Valet sans baratin...
Où est ton pedigree ?
Coquin !
Sûr, tu seras damné...
Espèce d'illuminé..."

Le narrateur
En définitive,
Les voilà amis,
Comme s'ils l'étaient depuis toujours.

Chacun participe aux larcins
Chapardages et rapines :
Grosse bourse,
Or bien massif,
Et tant et tant de récoltes,
Qu'il ne fallait surtout pas séparer.

Las, il va falloir les gains
Parvenir à partager...

Violente bataille
Aussitôt s'ensuivit !

Les brigands
"Vieux corbeau !
Causeur de ravages...
Fâcheux dépravé
Satané endiablé...

Fripon,
Douteux porteur de jupons !
Amateur de croupion,
Crasseux compagnon
Abject et misérable crampon,
Authentique
Abominable harpon !

Loup-garou...
Tu es fou !

Farouche et solitaire,
Caractère délétère...
Tu n'es qu'un gredin !
Blondin
Radin...

Et toi nauséabond faquin,
Tu ne vaux point
La corde pour te pendre !

Immonde vaurien
À pourfendre..."

Le narrateur
Vous auriez vu,
Les bretelles pas même retenues !
Les lèvres mordues !
Les porcelaines fendues !

Les étoffes arrachées !
Les cheveux tirés !
Les tisons voler !

 

Et l'un dessous les autres,
Hurler, trembler et choir...
Vous auriez vu,
Vous auriez ri... :

Vous en auriez redemandé...

Lors,
Occupons-nous des vivants,
Laissons les morts,
Repartons du côté...

De ce prévôt abracadabrant...

J'irai tout droit,
À la bâtisse
De cet important magistrat,
À qui je rapporterai,
Mot pour mot,
Du tout au tout,
Et en détail,
Bien davantage que ce que je vis
N'en doutez mais :
L'exacte et chaude vérité...

Le prévôt
Ah, ah, ah, ah...

Le narrateur
Et si le prévôt rit, se gausse, plaisante,
Et s'amuse :

Le prévôt
Ah, ah, ah, ah...

Le narrateur
S'il m'écoute,
C'est qu'il aimera beaucoup,
Beaucoup, beaucoup,
Comme vous,
Les tromperies...

Il appréciera,
Que je joue sur les mots...

Calembours,
Calembredaines...

Il supportera,
Qu'une femme couchée,
Veuille bientôt accoucher :
Le ventre tendu
Par force
Boudins et tripes...
Ah, le risible malentendu,
Et moult autres gâteries
Sans éviter les grivoiseries...

D'aise il soupirera,
Et cela seul comptera...

Je peux ainsi,
Depuis le soir
Jusques au matin,
Vous en conter,
Pour vous faire patienter...

En vous affirmant
Que ceci
Est la farce d'Anne Poiré

Anne Poiré,
Qui fit ce fabliau,
Pour Olivier,

Et voilà ce que raconte,
De motu proprio,
Ce drôle
De fabliau !

Vous souriez désormais :
Et moi, qui suis ménestrel,
Jamais ne me lasse,
À rimer,
À blaguer,
À pour vous délirer.

Ni à multiplier,
Sur un plateau,
En trois coups de pinceau,
Pour vous livrer
Ces ineffables fabliaux...

Moi qui ne suis, par ma famille,
De haut lignage,
N'étant fille,
Ni de baron, ni de dame,
Je suis,
Sans me vanter,
D'un exceptionnel cuvage...
Car mes maîtres se nomment Villon,
Jehan Bodel, Rutebeuf,
Chrétien de Troyes et Tartempion...

Et pour les contemporains
Ne vous en déplaise
Tant sont nombreux,
Considérables et abondants,
Que ne saurai les citer tous.

Aussi la seule histoire,
Digne de vous être
Ici relatée,
C'est celle de l'exemplaire Cyan
Et de sa dame Carmina...

Avec l'irremplaçable Cyan,
Et son unique Carmina :
Lancinante douleur,
Vous voilà annoncée,
Fulgurante fureur,
Vous pouvez estimer...

Du moins temporairement,
Car avec Cyan,
Et sa juste Carmina,
De tragique détresse,
Pas question d'abuser :
La catastrophe
Sera seule frôlée...

Aussi écoutez
Ce lamento,
Le lamento de Cyan,
Le triste et plaintif gémissement,
Le souffle contre-allegretto,
De sa dame Carmina
À l'incarnat grenat
Digne du quattrocento...

Elle/lui (duo)
"Las,
Ceci n'est pas un fabliau,
Ni même un récit de mots...

Ceci est un triste lamento...

Las !
Totalement
Appassionato...

Point besoin ici d'écriteau,
Pour résumer,
Les éléments fondamentaux,
De pareil vibrato...

De semblable rhapsodie,
Concernant ces deux zigoti
Point n'est besoin d'une photo,
Car subito,
Ex abrupto...,
Vous saurez tout
Au sujet de ces deux tourtereaux...

Et tôt le découvrirez,
De A jusques à Z,
Et tôt vous l'entendrez,
De Cyan à Carmina,
Ô, cruelle agonie !

Bientôt,
Nos deux âmes, tôt,
Las,
Las,
Seront depuis les pieds,
Jusques à la tête,
Dans la tourmente
Totalement plongés"

Le narrateur
Oyez,
La musique funèbre,
Lugubre et sépulcrale,
Caverneuse et spectrale...,
De déchirante douleur,
Qui accompagne,
Combien magnifiquement,
Ce que lors je vous conte...

Il s'agit bien
De l'histoire de Cyan,
Le preux chevalier.

Et de Carmina,
Sa dame incomparable
Et magnifique,
Resplendissante et harmonique...

Cyan,
Lequel bel homme,
En un printemps fatal,
Singulière et merveilleuse,
La superbe splendeur,
Par hasard
En une loggia
Rue de la Soie
Croisa.

Imprudemment,
Il la rencontra...

Écoutez lors ce qu'il advint...

Ses yeux aussitôt ardèrent,
Et son coeur
Tambourina...

Cyan
"Si vous avez le moindre sentiment,
Pour quelque créature
En ce bas monde, Mademoiselle... "

Le narrateur
Lui adjura-t-il :

Cyan
"Je vous conjure,
Je vous implore et prie,
De ne pas me le cacher,

Qu'il s'agisse de moi-même,
Ou de tout autre...
Mais dites-le moi..."

Le narrateur
Réclamait-il.

Du soir au matin,
Du matin au soir,

Il souffrait...
Il gémissait,
Il se désolait...

Du matin au soir,
Du soir au matin,

Il se désolait...
Il gémissait,
Il souffrait...

 

Elle
"Assurément vous me demandez la lune,
Le soleil
Et toutes les constellations :
Céphéides et nova,
Pulsar et nébuleuses... "

Le narrateur
Lui rétorqua-t-elle.

Elle
"Pourtant
Je vous le dirai..."

Le narrateur
Elle minaudait,
Dame Carmina,
De charmantes couleurs
Se couvrait

Elle rosissait
Pâlissait
S'empourprait...

Le sieur Cyan,
En attendant souffrait...

Cyan
"Par la foi que je dois
À l'âme de mon père..."

Le narrateur
Reprenait-il,
Bleuissant,
Verdissant,
Jaunissant...

Cyan
"Dites-moi,
Belle dame,
Si vous avez le moindre début d'attirance,
Pour qui que ce soit
En ce bas monde..."

Le narrateur
Il implorait,
Et il souffrait.

Il l'honorait,
Lorsqu'il la croisait,
Avec toute la courtoisie
Dont il était capable,
Retenant
Toute la frénésie
Qui en lui frémissait.

Cyan
"Madame..."

Le narrateur
Disait-il,

Cyan
"Ne me cellez point davantage,
Qui vous êtes,
Ni où vous allez ! "

Le narrateur
Et la dame virevoltait,
Papillonnait.

Elle l'éblouissait...

Elle
Do

Mi
Fa
Sol
La
Si
Do...

Cyan
"Vous êtes la plus brillante,
De celles qui sont présentes,
Et même des absentes !
Vous êtes la plus dorée,
La plus colorée..."

Le narrateur
Elle s'enhardit à suggérer,
Que par lettre,
On lui répondrait.

Las, las,
Le temps passa,
Le temps s'écoula
Le temps s'usa...

Las, las...
Le malheur,
Las,
Le malheur
Voulut que pleins de malice
Des voleurs,
Messieurs les ribauds,
Grossiers individus,
Dérobèrent
La missive d'amour,
Que devait un écuyer transporter.

Car lorsque des filets de sa bourse,
Les cordons ils tranchèrent,
Voilà que le papier
À leurs pieds s'évada...

Le valet, mourant
"Je me meurs,
Las,
Persécuté, battu, frappé...
J'ai manqué de vigilance, je crois,
Je disparais, bastonné
Et ma tâche splendide,
À bien,
Je ne pourrai mener !"

Le narrateur
Ainsi, le loyal serviteur fut rossé,
Flagellé, châtié,
Puis carrément lynché,
Pour à peine
Quelques vulgaires deniers.
Encore moins de francs,
Des centimes,
Par poignées ridicules,
Pas même tout un euro...

Bien mieux espérait-il :
Le succès !

Las,
Plusieurs fois,
Il fut molesté,
Arraché à son fringant destrier
Un âne
Que Carmina lui avait prêté...

De bataille en mêlée,
La dernière fut terrible.
Voyez dans quel état
On l'oublia :
Les marauds
Assassins
Le laissèrent pour mort...
Las
Las...

Et Cyan se morfondait.
Cyan souffrait.
Cyan,
Le pire imaginait...

Il avait demandé,
Si l'Élégante le refusait,
Qu'on lui chantât quelque fado,
Voire,
Qu'on lui contât un fabliau...

Ou qu'on lui jouât de la vielle,
- Son choix préférentiel -,
Sur un air de Faes Olivier
Il serait alors tout recroquevillé :

"Oyez, oyez, seigneurs et dames,
Je veux vous parler, en cet instant,
De belles histoires,
À rire,
Ou à pleurer... "

Mais rien,
Nulle nouvelle...

Les musiciens se préparaient,
Pendant que Cyan
De douleur pénétré,
Souffrait
Et menaçait de se suicider...

Cyan, le pis anticipait,
Cyan,
Toutes les notes redécouvrait,
Sol la si,
Si fa do,
Cyan,
La vielle en lui
Son silence le brûlait...

Cyan
"Ah, douleur,
Ah, douleur...
Quelle peine profonde...
Accablement qui me déchire,
Affliction
Qui m'oppresse...

Consumé par l'attente,
Je ne suis plus que tracas !
Ah douleur,
Ah souffrance..."

Le narrateur
L'écuyer, étendu,
Sent son âme qui s'échappe.

Petit oiseau,
Enfin hors de sa cage.

Cependant,
Avant d'expirer,
Le valet s'adresse
À un grand bon vilain :

Le valet
"Par pitié,
Miséricorde et compassion,
Aidez-moi !

Voilà que la mort me surprend,
Avant que je retrouve le chemin
Des si tendres amants
Cyan et sa raffinée Carmina...

Par pitié
Miséricorde et compassion... !

Aidez-moi
À faire le bonheur,
De Cyan,
De Carmina,
De Carmina et Cyan.

De Cyan et Carmina...

Par pitié, aidez-moi !
Par-delà la mort,
Qui soudain me saisit,
Pitié...

Compatissez,
Pitié...

Pitié..."

Le narrateur
C'est à un banal paysan,
Que notre digne écuyer
Confie son unique secret.

Agonisant,
Le souffle presque tout à fait éteint...

Ce dernier
Ramasse le feuillet,
Il le tend au vilain
Qu'il charge coûte que coûte
De Cyan ou Carmina rallier.

En attendant
La sublime dame,
Toute décolorée,
Le pâle aux joues,
Le coeur en feu,
Ne voyant nulle réponse
À ses aveux si tant directs,
Menace de mettre un terme
À sa vie
Pareille à celle
De Roméo et Juliette,
Un modèle vraiment accompli,
Pour ses bien mieux
Que simples amourettes...

Carmina
"Je reste muette de douleur...
Ah,
Terrible est cette épreuve !
Quelle affliction !
Quelle souffrance,
Quelle passion !
Je n'ai plus désormais,
La moindre raison,
Ni d'espérer,
Ni de vivre,
Et impossible me paraît
Dorénavant
De continuer
À me languir davantage.
Je préfère partir,
Je me meurs de tendresse,
Je m'éteins d'abandon :
Cyan,
Vous...
Sans affection pour moi,
Incapable même de répons,
Félon
Ah...
Es-tu de la sorte satisfait ?
Ah...
Je n'aurai de ma vie
Plus aucun réconfort..."

Le narrateur
Et lui :

Cyan
"Ah, si j'étais arrivé à temps,
Las...
Je vais,
Dedans la tombe,
Pour l'adoration
De cette très Vénérable,
Pour l'amour de vous,
Ô,
Ma dame Carminée,
Je vais,
Pour vous rejoindre
Dessous la terre retrouver,
Dedans un tombeau
À son effigie,
Ma belle amie,
Ma seule aimée !"

Le narrateur
Notre fabliau n'est point amusant...
Notre jeu étourdit :
Affreux, il menace,
De nous faire
Amèrement pleurer.

Heureusement,
Voilà le paysan,
Qui rattrape,
Par accident,
Au coin du bois,
Près de la lumineuse clairière,
Se mourant,
D'attachement sans espoir,
Juste au pied
Du rose rocher,
L'ami Cyan
Follement
Énamouré...

Le paysan
"Vivez, seigneur,
Vivez, réjouissez-vous,
Seigneur,
Riez !
Vivez,
Vivez, réjouissez-vous !"

Le narrateur
Il lui révèle,
Avec abondance de détails,
Force mimiques,
Et autres gestes,
La malignité
Des malandrins,
Qui pour les cordons d'une bourse,
... délier...
Ne reculèrent point,
À risquer de briser,
La plus délicate amitié.

Et puis surtout...
Un futur baiser...

Et plus...
Si affinités !

Grande joie,
Pour le chevalier :
Car voilà qui est rassurant,
Le voici qui chevauche...

Des voix
Pouloum, pouloum...
Au galop,
Ventre à terre...
Pouloum, pouloum...

Le narrateur
À la rencontre de sa dame...

Des voix
Pouloum, pouloum...
Au galop,
Ventre à terre...
Pouloum, pouloum...


Le narrateur
... Qu'il salue courtoisement...

Oyez, oyez,
Braves seigneurs et dames,
Vous préféreriez
Sans doute,
Gentes dames,
Seigneurs et amis,
Public si tant attentif,
Vous inclineriez peut-être,
Pour qu'elle se soit
Déjà violentée
Suicidée...

La dame
"Ah !
Je me meurs...
Réparation pour cet abandon...
Ô toi,
Cyan,
Cette passion,
Au plus haut point,
Ô infortune
Me tourmente...
Détresse sans comparaison !
Détresse sans égale !
Jamais créature n'endura
Pareille effroyable souffrance...
Ô toi, Cyan,
En mon coeur, je t'aimais,
En mon coeur amoureux,
Toi seul
Réellement habitais.

Je me meurs...
Las... "

Le narrateur
Oui, vous palpiteriez,
Si je vous annonçais,
Qu'à l'article de la mort...
Carmina
L'exquise,
Enchanteresse Carmina,
Lui montre enfin,
D'une voix éteinte,
L'étendue
De ses sentiments...

La dame
"Ah...
Je me meurs...
Réparation
Pour cet abandon... !
Ô toi
Cyan...
Cette passion,
Au plus haut point
... Fléau,
Fatalité...
Me tourmente...

Détresse sans pareille
Détresse sans égale

Jamais créature n'endura
Pareille épouvantable souffrance...

Ô toi,
Cyan...
En mon coeur
Je t'aimais...

En mon coeur
Épris

Toi seul
Véritablement habitais.

Je me meurs...
Las... "

Le narrateur
Eh bien ne comptez pas sur moi,
Oyez, oyez,
Gentes dames et seigneurs,
Voilà que Carmina,
Dame d'amour,
Toute gracieuse,
Lui adresse la parole...

Et d'aveu en aveu,
Ils se marient ensemble :

Mais oui,
Pour la vie...

Dévotion,
Joie, bonheur !

À l'eau de rose
Mais oui,
J'ose... !

N'en déplaise,
Aux amateurs
De tragédie :

Les voilà qui rient !

Et la vielle pour leur noce
Afin de tous distraire,

À pleins poumons
À grand élan,
Se permet alors d'entonner,
Sans craindre de blesser
Ni de quiconque tuer,
Pour réjouir,
Pour divertir, ébaudir, égayer :

Les trois chanteurs
"Oyez, oyez,
Seigneurs et dames,
Je veux vous parler
En cet instant
De belles histoires
À rire
Et à ne pas pleurer...

Mêlant intenses, élevés et hauts sentiments,
Mêlant aussi gourmands,
Plumant les oies,
Les chapons,
Tournant à la broche,
Mêlant voleurs, et canailles minaudant,

Aventures, mésaventures,
Aucunement dramatiques,
Et toujours bien comiques,
Où les affreux prêtres,
Éternellement méritent d'être dupés,
Et les conjoints,
Incertains, libertins,
Encore bien plus bernés...

Le cadre ?
Vous le connaissez...
Un peu partout, avec quiconque...

Et des Rose,
Églantine,
Des Marguerite,

Épanouies, à la folie
Enivrantes,
Un peu,
Beaucoup,
Passionnément,

Femmes et amours
À la folie

Des Rose,
Églantine,
Des Marguerite...

Ainsi finit
Le jeu d'Olivier,
Ce fabliau d'Anne Poiré,
Contant l'histoire
De Cyan et Carmina,
Et de toutes les belles,
Qui pour séduire,
Trouvent des ailes,
Et de tous les jouvenceaux,
Qui pour charmer,
Ne sont pas du tout sots ...

Anne Poiré