La Faute à Rousseau

n°45

 

La FAR est la revue de l'association pour l'autobiographie et le patrimoine autobiographique, l'APA :

La Grenette

01 500 Ambérieu en Bugey

 

http://sitapa.free.fr

 

Son numéro 45

"Internet et moi"

contient deux articles signés Anne Poiré-Guallino, aux côtés d'autres textes de Bernard Massip, Philippe Lejeune, Gisèle Grimm, Daniel Orler, Martin Winckler et plein d'autres Apaïstes.

 

Pochette surprise hebdomadaire p. 51.

 

J'ai d'emblée été séduite par l'initiative de Daniel Orler : un mot (ou groupe de mots) nous est soumis,dans notre boîte électronique, chaque semaine, et l'on ne peut prévoir le domaine qui sera exploré, c'est un itinéraire hasardeux, qui ne vient pas de soi, ce qui change tout ! Lorsque je raconte des épisodes autobiographiques, j'oriente dans le sens qui me convient ma prose ou mes vers. Là, quelqu'un d'extérieur prescrit une direction à mes pensées. Impulsion que je choisis de suivre, ou de pervertir : pour " jolie geôle ", j'ai glissé vers " jolie môme ". " Armés de canons " me paraît trop militaire, certes, mais les canons de la beauté me retiennent, ne serait-ce que pour les contester. Souvent, au lieu de me borner à un texte (et un pseudonyme), je les multiplie. Par analogie les pistes prolifèrent : " dans le canot " éveille la galère, les "canaux ", et le canotage des impressionnistes, voire le " canotier ", et ainsi, dérivant, un vocable en appelant un autre, je me régale.
Il y a quelque chose de la psychanalyse dans cette plongée par association d'idées. Sans doute parce que j'ai toujours respecté la convention temporelle, une heure, pas davantage, que je remplissais au début avec densité : jusqu'à six textes, déposés d'un souffle, sans quasiment prendre le temps de me relire. Je n'en compose en général plus qu'un ou deux, en moins de dix minutes chacun.
Ce n'est qu'après, en les survolant comme s'ils avaient été engendrés par une autre, que, ô surprise, je m'aperçois que je suis revenue à mes obsessions (la mort du père, la maladie de P.) ou que je rumine, sans en avoir franchement conscience (sur L. ou F.,), thèmes récurrents, alors que dans la "vraie vie ", je n'ose formuler ces revendications : là, je ne me censure plus ! Certaines digues cèdent.
J'utilise différents noms. Je pourrais m'avancer à visage découvert. Pourquoi ces masques ? Mes anecdotes mettent à l'occasion en cause la famille, des copains, l'actualité brûlante fuse - presque un journal ! - je me contente d'initiales, pour préserver un relatif anonymat.
Comme tout le monde, je suis limitée à 1 500 signes, pas un de plus ! Je suis prolixe, et là, la machine m'arrête, brutalement. J'ai une phrase dans la tête, mes doigts galopent sur le clavier, et bon sang les mots disparaissent, s'effacent, impossible de les conserver. Cela peut sembler castrateur : je le vis comme un plus. Voilà qui me permet d'abandonner l'inutile, je me demande ce que je peux élaguer, pour gagner de la place, garder ce qui soudain devient le plus important...
J'ai également un plaisir intense à découvrir les productions des autres. Je suis déçue lorsque peu de contributions naissent ; stupéfaite, si je devine des résonances, dans l'existence d'êtres dont je sens qu'ils ne sont pas de ma génération, voire de mon sexe, de ma région, et qui pourtant sont passés par tel ou tel vécu ! lPeu à peu nous faisons connaissance, nous devenons des amis de l'ombre...


et Magie électronique p. 57 et 58.

 

Oui, Internet est un merveilleux outil, qui change notre vie, au quotidien, et je me dis souvent que je vis dans un roman de science-fiction. Dès le réveil, je fonce à mon bureau, j'appuie sur les boutons qui allument l'écran. Trier les mails, jeter le spam, occupe une partie de ma matinée : nous nous sommes absentés cinq jours, en mars. Au retour m'attendaient 856 messages, dont beaucoup à placer dans la corbeille. Mais combien d'importants, pour lesquels une réponse personnelle s'imposait ? Voilà qui compense ce type de désagréments. J'aime cette rapidité, y compris la nuit, à des heures où les autres sont endormis, indisponibles. En plus, parfois quelqu'un réagit, même là ! J'apprécie de pouvoir envoyer et recevoir des missives le dimanche. Pas de période fériée pour mon ordinateur, pas de pause syndicale. Certes, lorsqu'une panne se profile, c'est la panique !

L'autre aspect tout à fait sympathique, à mes yeux, c'est de pouvoir créer des sites. Désormais, sans hésiter, mon livre le plus lu, le plus sondé, commenté, ce sont bien sûr nos deux adresses Internet : 1 - sur la peinture et la sculpture de Patrick, 2 - sur mes textes ! J'ai été publiée une centaine de fois, une trentaine de plaquettes portent mon nom, actuellement, cependant le plus fréquemment chez des éditeurs confidentiels, bon nombre de ces ouvrages sont épuisés, introuvables. Sauf qu'en ligne, je peux leur offrir un rebondissement inattendu... 11 996 visiteurs à ce jour, sur " http://perso.orange.fr/art.guallino ", ce n'est pas rien ! Aucun de mes modestes tirages n'a jamais atteint ces sommets ! Et ce sont des gens du monde entier, qui n'auraient nullement eu accès à nos écrits et images, ni ne nous auraient connus ! Mon dernier recueil, des nouvelles parues chez D'un Noir Si Bleu, a été réservé avant sa sortie par un charmant Suisse, qui m'a découverte en tapant http://membres.lycos.fr/annepoire/. Il m'a d'abord demandé, il y a quelques années, la suite de l'un de mes romans, toujours inédit, dont les premières pages étaient en consultation libre sur le site, puis il a commandé de " vrais " ouvrages. Comment ce lecteur aurait-il pu soupçonner mon existence, sans ce lien ?


La musique également est entrée dans ma vie par ce formidable instrument. Un compositeur de Tours a croisé mes mots, dans le dédale de la toile. Depuis, nous avons eu plus d'une fois l'occasion de collaborer. Effet boule de neige, probablement : le conservatoire de Roanne a choisi l'un de mes poèmes, et la " Cantate de la Loire " sera interprétée, ce printemps, par 128 exécutants, vocaux et instrumentaux, sur une partition originale de Jean-Marie Morel ! Sans Internet, ce miracle aurait-il été envisageable ?