Les mots de Clémence

 

est un émouvant roman jeunesse, dans lequel l'héroïne, Clémence, est encore à l'école primaire. Martyrisée par ses parents, elle pense longtemps que ce qu'elle subit est normal. Grâce à son institutrice, elle va peu à peu découvrir qu'une autre solution est possible...

 

Ce texte date de 2006.

 

L'héroïne, aidée par l'assistante sociale, parviendra-t-elle à éloigner ces effroyables maux de son existence ?

 

Le texte ?

 

Les mots de Clémence
Anne Poiré

1
Ma mère disait toujours : " Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour mériter une fille pareille ? Tu es une vraie calamité ! " Quant à mon père, il le savait bien, que j'étais mauvaise. C'est pour cette raison qu'il s'entraînait si souvent à me battre. J'essayais de ne pas recommencer, et toujours je refaisais ce qu'il ne fallait pas : alors il me corrigeait
Comme pour la fête de Mamie Marjorie. Je voulais lui offrir un joli cadeau, une surprise, qui lui fasse plaisir, pour qu'ils oublient, tous, que j'étais une méchante fille. Je suis allée au jardin. Je lui ai cueilli le plus gros bouquet de ma vie. Enorme. Je savais que ma mère n'aimait pas que je coupe les grandes fleurs, comme les lys, ou les iris, quand on allait chez nos cousins, à la campagne. Je n'ai cueilli que de toutes petites beautés blanches de rien du tout. Des fines. Beaucoup. Comme cela, ça compensait, rapport à leur petite taille. Je chantonnais, en les ramassant. J'étais contente. Je savais qu'on allait me féliciter, pour cette bonne idée. Surtout que c'était moi, toute seule, qui y avais pensé ! Mamie Marjorie, et même ma mère, souriraient, pour une fois ! Cette dernière serait fière de sa fille !
Je suis rentrée à la maison, avec cette grosse touffe de petites fleurs blanches serrées contre mon coeur. J'avais besoin de mes deux mains, tellement il y en avait. C'était magnifique !
En chemin, j'ai glissé sur un caillou, qui affleurait, à même le sol, du côté du poulailler. Je suis tombée sur les genoux, parce que j'avais préféré protéger les fleurs, plutôt que de les lâcher. J'aurais pu me retenir Je saignais. Mais ce n'était rien. Les pétales n'avaient pas été abîmés. Ouf ! Je me suis relevée, j'ai d'abord boitillé, pendant quelques pas, puis j'ai couru, le long de l'allée de petits cailloux blancs, bordée de rosiers. Vite : j'étais pressée de voir la joie de Mamie Marjorie.

2
Pour sûr, je l'ai vu, l'enchantement de ma Mamie ! Je l'ai senti, même ! J'avais encore fait une bêtise ! Et une grosse, je pense : mon père est tout de suite allé chercher le ceinturon. Ma mère criait, en se tordant les mains : " Elle n'en fait qu'à sa tête, celle-là ! Encore heureux qu'on la surveille, c'est une catastrophe, dès qu'on la laisse cinq minutes " Le bouquet à la main, je me demandais vraiment ce que j'avais pu faire. Sans doute était-ce une sottise datant de la veille ? Ce dimanche-là semblait avoir bien démarré. Je cherchais. C'était peut-être le robinet de la salle de bain, que j'avais mal fermé ? Il était dur, et des fois, je n'y arrivais pas très bien. Ou mon lit, dont j'aurais oublié de tirer à fond les draps et les couvertures ? Ou bien celui de mes parents : c'est moi qui en étais chargée. Mais non, ce matin-là, j'en étais sûre, je m'étais acquittée de toutes mes tâches ménagères, - et bien, même ! J'avais justement changé leur housse de couette. En plus, avant de sortir, j'avais lavé par terre, et pelé toutes les pommes de terre, pour le ragoût de midi.
Quand mon père me battait, je serrais les dents. Ça ne faisait pas aussi mal quand on fermait les yeux, alors je serrais les dents et je fermais les yeux, dans ces moments-là. J'avais entendu maman, qui disait : " Eh bien, tant pis pour elle ! Les fraises qui seront sauvées seront pour nous ! Elle n'en aura pas une, pas une seule, cette petite imbécile ! "
Alors là, j'avais pleuré. Pourquoi voulait-elle me priver de mon fruit préféré, en plus ?

3
Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde se fâchait comme ça, contre moi. Affreux ! Quand je pleurais, c'était encore pire, parce que mon père faisait une allergie aux larmes. C'est ce qu'il affirmait ! Alors, plus je sanglotais, plus il frappait fort, pour que " La Gosse, elle cesse de chialer ! ". C'était cela, qu'il criait. Or moi, quand j'avais commencé, j'avais du mal à m'arrêter.
À force, je ne sentais plus les coups. Ce n'était qu'après, quand j'essayais de marcher, ou de m'asseoir, quand c'était fini, que je savais qu'il avait tapé, comme les autres fois, très fort, parce que j'étais une méchante fille.
Une fois, je n'avais pas pu aller à l'école, ni m'asseoir, pendant toute la semaine, juste avant les vacances, tellement sa réaction à mes larmes avait été forte ! Raisons familiales, elle avait marqué, ma mère, sur le mot, pour la maîtresse. Ce n'était pas vraiment faux J'avais des bleus, et puis ça saignait. Pour poser mes fesses, c'était dur. Le popotin en feu. Et lui, il avait voulu me forcer à rester assise. C'était Mamie Marjorie qui m'avait sauvée. Elle m'avait prise chez elle, pendant les jours qui avaient suivi, parce que sa femme de ménage était en vacances. Elle voulait que je vienne l'épauler, pour la remplacer. Une aide-ménagère Bonne idée ! Comme ça, j'avais moins mal. Quand je lavais les vitres, ou quand je nettoyais les cuivres, à les faire briller comme un sou neuf , je pouvais arrêter de penser à tout ce feu qui me brûlait les fesses, me rongeait le dos, les cuisses et les mollets.
Il ne fallait pas croire, ce n'était pas que j'aimais cela ! Mais je n'avais pas le choix
J'avais mal, quand on me battait. Mon père disait que j'étais si méchante ! Je faisais tellement de bêtises Il fallait bien me corriger. Mes parents le répétaient : "Une vraie pisseuse, celle-là ! ", " Cesse de pleurnicher " !

4
Ma copine de l'école, Lilas, avait vraiment de la chance : son papa était mort, l'automne précédent. Pourquoi n'était-ce pas arrivé au mien ? Elle en avait de la veine, elle ! Le soir, pour m'endormir, je me racontais des histoires. Parfois, j'imaginais que l'accident n'était pas arrivé à Monsieur M., mais à mon père, et j'étais bien contente. Je battais des mains, je courais, je sautais : c'était super, et même, j'arrêtais de faire des âneries ! Cela me rendait triste, aussi. Je ne savais pas pourquoi. C'était à n'y rien comprendre.
Mais mon père était fort. Puissant. Ce n'était pas lui qui tomberait malade, ou qui perdrait tout son sang, comme le papa de Lilas, après avoir été renversé par un camion transportant des planches énormes pour la scierie ! Il résistait à tous les microbes : jamais un rhume. Rien !
C'étaient plutôt les enfants, qui étaient fragiles. À la télévision, j'avais entendu parler d'un petit garçon que l'on avait retrouvé mort de faim, dans un placard. Son beau-père le martyrisait, le pauvre.
Il était bizarre, voire scandaleux, - inadmissible ! - , que les voisins n'aient rien dit, - s'énervait le journaliste -, ils auraient dû le défendre, alerter les pouvoirs publics. Moi, quand je criais, M. Prunier, du cinquième, descendait parfois. Chaque fois, ça se terminait par un coup de gnôle. Parfois plusieurs : " Allez, encore un petit, pour la route ! ", ça les faisait rire, tous les trois. " Pas besoin d'alcotest, vous n'allez pas trop loin, M'sieur Prunier ! C'est pas les gendarmes qui vont vous faire des histoires " Mes parents continuaient à vider la bouteille, - ils étaient prêts à partager, généreux, dans ces moments-là -, et l'on n'en parlait plus. Lorsque notre voisin repartait, je crois qu'il ne savait plus au juste ce qu'il était venu arroser. Peut-être même espérait-il m'entendre pleurer, parfois, lorsqu'il avait une légère soif ?
C'était pour cette raison, aussi, que mon père ne voulait pas que je fasse de bruit, lorsqu'il me battait. " Tais-toi, ma pauvre fille ! " Pour économiser la bouteille d'alcool Quant aux Ruggieri, en dessous : ils devaient bien être centenaires, tous les deux. Hélas, ils étaient sourds comme une télécommande sans pile.

5
Et puis, même si quelqu'un avait dénoncé mes parents : je crois que je les aurais défendus. Pas parce que je m'appelle Clémence. Non, pas par générosité, indulgence, ou je ne sais quoi. C'était ma famille, un point c'est tout : toutes ces salades se passaient entre nous. Il s'agissait de nos affaires, somme toute. Notre linge sale. Que personne n'y fourre le nez
Je pensais aussi que je le méritais. Trop sotte. Pas aimable. Pas digne d'être traitée autrement.
Pire : depuis toujours, mes parents agissaient de la sorte. Lorsqu'ils me battaient, pour eux, j'existais ! C'était un signe d'attention, en quelque sorteD'affection. C'était peut-être pour cela que même, avec les autres, à l'école, je les narguais, je me débrouillais, comment dire, à être embêtée. Je croyais que c'était cela, l'amour !
Je me souviens, ainsi, d'un jeudi. Il pleuvait. Juste en sortant du groupe scolaire, j'ai vu que les garçons m'attendaient, avec un serpent, qu'ils avaient ramassé, dans les ornières. Tous ceux de la classe. La semaine d'avant, ils m'avaient importunée avec des araignées. Je me disais, " C'est gentil, ils s'intéressent à moi ! " Dans le même temps, évidemment, j'étais terrorisée.
J'avais couru, vite, pour fuir. Je pleurais à chaudes larmes. Affolée. En détalant, j'ai dérapé. Je ne sais par quel coup du sort, mon manteau est resté accroché à une branche de noisetier, près du Pont des Soupirs. La déchirure serait impossible à camoufler. Juste devant ! Entre ma phobie face aux animaux et la peur des réactions de mes parents, j'ai hurlé, pleuré, prié qu'ils me laissent tranquilles. Ils ne m'ont lâchée que lorsque le mari de la maîtresse est passé, par hasard, et les a chassés. " Bande de petits chenapans, vous n'avez pas honte ? " Mon sauveur, sévère, avait impressionné même les plus téméraires. De haute stature, d'une constitution de sportif , à la course, il les aurait rattrapés, s'il avait fallu les rosser ! M. Kédange a proposé de me raccompagner, gentiment, jusqu'à la Cité. Il trouvait inadmissible qu'une bande déchaînée, " une horde ", comme il disait, s'attaque ainsi à moi, toute seule ! L'orvet était toujours là, à mes pieds. J'avais l'estomac noué, envie de vomir. Je me sentais comme paralysée, sans défense. Mon caban décousu, avec son accroc béant, ne me protégeait plus du froid. Je me souviens : j'ai eu des frissons, de la tête aux pieds. J'ai refusé l'aide de ce protecteur, hardi, inattendu, pourtant bien gentil, et j'ai foncé, tête baissée, terrifiée à l'idée de les retrouver, tous, au coin d'un immeuble, prêts à renouveler leurs lâches exploits. Mais ils étaient rentrés chez eux, ou bien s'étaient attaqués à une autre proie. Lorsque je suis finalement arrivée à la maison, mes sueurs se sont transformées en effroyable chaleur. Impossible de raconter mes malheurs, à quiconque. Personne pour m'écouter.
Mon père n'a pas hésité à me corriger. J'ai été battue, parce que j'avais encore abîmé mes vêtements. Une voisine nous faisait passer les vieilleries de ses neveux, usagées. Je les portais au-delà de l'usure. Cet incident faillit me laisser les côtes brisées. Mon père se déchaîna sans que je puisse lui expliquer pourquoi j'avais ainsi couru, au risque d'abîmer mes hardes. S'il l'avait su, il aurait redoublé de violence : " Tu n'as qu'à apprendre à te défendre toi-même, bourrique ! Dans la vie, on ne peut compter que sur ses poings !"
Les bourreaux étaient partout présents : je me sentais si fragile que jamais je n'aurais osé me plaindre, auprès de quiconque !

6
Ma maîtresse défendait néanmoins une autre idée de la vie. Pour elle, le dialogue et l'intelligence étaient toujours supérieurs à la violence.
Ce jour-là, à l'école, quand elle avait parlé des droits de l'enfant, je n'avais pas pu m'en empêcher. Madame Kédange expliquait qu'une déclaration avait été adoptée par l'O.N.U., le 20 novembre 1989, avec des phrases très belles, comme l'article deux, " L'enfant doit bénéficier de protection ", ou le huit, " L'enfant doit en toutes circonstances être parmi les premiers à recevoir protection et secours "
J'avais chuchoté, tout en regardant par terre, que parfois, même en France, même chez nous, certains parents ne se gênaient pas, pourtant.
" - Tu crois ? " Je n'avais rien répondu, le regard perdu dans le lointain. La maîtresse n'avait pas insisté.
" - Et toi, Lilas, qu'en penses-tu ? " C'était toujours à ma copine que Mme Kédange posait les questions difficiles. Sans doute parce qu'elle était la plus intelligente de la classe. Elle récitait les poèmes, par cur, sans jamais se tromper. Et en calcul mental, elle était vraiment forte ! Elle répondait avant que la maîtresse ait fini de poser le problème.
Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle allait suggérer.
C'est pour cela que j'ai écrit, juste avant, que c'était ma copine, Lilas. À vrai dire, jamais on ne s'était parlées, toutes les deux. J'étais toujours toute seule, dans la cour. Personne ne jouait avec moi. Jamais. Parce que j'avais de mauvaises notes à l'école, ou parce que j'étais mal habillée ? Je ne sais pas. Je n'avais pas de poux, pourtant ! Parfois les garçons tiraient sur mes tresses. À la marelle non plus, je ne trouvais nullement ma place, ni pour sauter à la corde.
" - Et toi, Lilas, qu'en penses-tu ? ", j'entends encore Madame Kédange s'adresser à elle. L'orpheline m'avait alors regardée, longuement, et puis elle avait articulé, en soupirant, " Maîtresse, je me demande juste pourquoi certains ont des bleus, comme Elle ", elle m'avait désignée du menton. " Sans doute elle tombe, sans le faire exprès, dans l'escalier. C'est quand même bizarre, parce qu'Elle a souvent des ecchymoses. Et des croûtes. "
Cette fillette innocente, aux yeux de biche, avec deux couettes brunes, de chaque côté de son visage allongé, avait choisi de m'observer, de s'interroger ! Elle était la seule à se douter que ma vie n'était pas toujours aussi douce que celle de mes petits camaradesJe la revois, - je la reverrai toujours -, dans son superbe sweat rouge carmin, piqueté de soleils brodés, avec des petits nuds orangés, sur son jean délavé. À la dernière mode.

7
À partir de ce jour, la maîtresse a semblé plus gentille, avec moi. Comme si mon papa était mort. Elle me parlait avec douceur, même quand je faisais trente-deux fautes en dictée. Ce qui ne manqua pas d'arriver Elle me demandait si ça allait, lorsqu'elle expliquait un exercice. Je ne pensais toujours pas à accorder les mots entre eux, avec ces histoires de féminin, de pluriel : il y avait trop à penser pour pouvoir tout relier.
Mme Kédange a brutalement cessé de me reprocher de n'être qu'une tête de linotte, comme elle le faisait autrefois. Elle me regardait, l'air songeur, et surtout, régal absolu, me proposait même, parfois, à la fin de la journée, de rester, afin que j'efface le tableau. Suprême privilège : j'adorais ce moment de tête-à-tête ! Elle corrigeait les cahiers, au bureau. Moi je m'appliquais. Pour me remercier, elle me donnait une tablette de chocolat, - entière ! -, une image ! Un jour, elle a acheté pour moi un sac de fraises en sucre, et des alligators. Je les garderai toute ma vie, en souvenir.

8

J'ai commencé à avoir un peu plus confiance.
En elle.
En moi.

" C'est très bien ! ", elle me disait, parfois.
Je me demandais pourquoi elle ne voyait pas combien j'étais un poids, lourd, comme mes parents me l'avaient toujours affirmé. Une nullité absolue, qui n'aurait pas dû naître.
Le jour où mon père a acheté un martinet, avec des lanières de cuir, cloutées, je le lui ai raconté.
" Maîtresse ! ", je sanglotais. Elle m'avait prise sur ses genoux. Je reniflais contre son épaule. La ceinture, c'était déjà dur, surtout lorsqu'il choisissait l'extrémité à la boucle d'acier. Mais là, cet instrument de torture, dont ma mère menaçait déjà de me régaler, me terrifiait.
La psychologue est intervenue. Toute blonde, avec un sourire de fée. Elle ne m'a pas posé de questions, elle m'a surtout écouté parler. Je crois que c'est parce qu'elle était vraiment douce, - une amie proche de Mme Kédange, comme si elle avait été sa sur jumelle ! -, que j'ai pu lui raconter, tout.
En fait, j'ai surtout fait des dessins, au début. Je ne pouvais pas dire quoi que ce soit. Je ne voulais pas leur nuire, non plus. J'évacuais comme je le pouvais.
On a joué ensemble. J'étais mon papa, ou bien ma maman, et elle, elle était moi ! Par exemple. Ou bien, on improvisait d'autres sketches. Ce n'était pas toujours rigolo, mais j'avançais
Je lui mentais, aussi. Pas trop. Au commencement. Je ne voulais pas que l'on fasse du mal à mes parents. Je ne voulais pas que l'on me sépare d'eux, juste qu'ils deviennent gentils. Je me sentais mal. Je pensais que j'étais un monstre. J'aurais dû être " parfaite ", ne jamais commettre la moindre bêtise. C'était moi la coupable, pas eux J'avais envie de leur demander pardon. Je les détestais. Je les aimais.
J'étais perdue !
On a beaucoup parlé, elle et moi. Je vais d'ailleurs toujours la voir. Je lui apporte des dessins, et puis des textes, que j'écris, pour elle, dans mon petit carnet vert émeraude, celui que m'a offert Madame Kédange. On les lit, ensemble, on les commente, quand je le veux. Parfois elle me prend même sur ses genoux. J'aimerais bien qu'elle m'adopte, mais elle ne le peut pas : elle a tellement d'autres enfants dont il faut s'occuper ! J'apprends à partager
La fracture de mon bras gauche, les points de suture, mon il, qui a été passablement abîmé, ont été décisifs. J'aurais pu partir, avant. Être " retirée ", de ma famille. Mais il fallait que cela vienne de moi. Que je comprenne. Que j'admette cette réalité. Je peux aimer mes parents, mais ne pas accepter d'eux ce qu'ils m'ont fait subir. La clémence a des limites. C'est ce qu'elle me répétait, la psychologue. Moi j'ai mis longtemps, encore maintenant, c'est difficile, des fois. C'est dur de mettre du sens sur tous ces maux
Depuis que je suis dans ce foyer, ça va mieux. La maîtresse vient me voir, parfois. Mais elle doit corriger les cahiers des élèves, préparer le tableau, pour le lendemain Elle n'a pas toujours le temps de faire le déplacement. Lilas lui a demandé mon adresse, et toute la classe m'a envoyé un mot. Il y a plein de tendresse, dans ces écritures ! Même les garçons signent ! Je relis mon nom, avec des majuscules, en rose, en violet, en fuchsia scintillant, entouré de curs, de papillons, de jolis dessins.
" Ma chère Clémence ", ils écrivent, et moi ça me fait drôlement plaisir.
Les adultes qui s'occupent de moi, mon éducateur, le directeur du centre, attendent de me trouver une bonne famille d'accueil. Des gens qui sauront m'aimer, sans me battre.
Moi, avant, je n'osais rien raconter, à personne. Je croyais que j'étais une mauvaise fille. Un fléau. Le juge a l'air de dire que non, que je suis très gentille, même. Toute douce.
Il veut m'aider.
Avec les autres, la maîtresse, la psychologue, ce dont je suis sûre, maintenant, c'est que c'est certain, je vais m'en sortir.

-----

 

N'hésitez pas à m'écrire, pour me dire ce que vous avez pensé de ce texte...

anne.poir@wanadoo.fr

 

Pour retrouver les oeuves des Guallino,

rendez-vous directement sur leur site :

http://perso.wanadoo.fr/art.guallino/