Niki de Saint Phalle

 

 

L'artiste Niki de Saint Phalle s'en est allée... je ne peux m'en consoler !

Pour elle, ce petit texte, et ces images, souvenirs d'une visite estivale merveilleuse, à Capalbio, en Toscane, en son jardin merveilleux des Tarots !

Paru dans Artension n°7, septembre-octobre 2002, page 66

 

Ma très chère Niki,

tu m'électrises, je me nourris des images somptueuses que tu fais naître devant mes rétines émerveillées, ces "Nanas" impulsivement déclinées, à l'infini, ces traces de lumière, en palette virevoltante, ces rondeurs, ludiques, paillettes exponentielles, aux couleurs du désir, - "la Hon", du Moderna Museet de Stockholm -, ces prismes kaléidoscopiques de matières chaudes, que tu assemblais si harmonieusement en une féminité radieuse...
Cette année, c'est Nice qui te rend hommage. En août 2001, j'avais abouti à Cluny afin de contempler tes mosaïques, en Murano et autres miroirs stimulants... Auparavant, j'avais entrepris le voyage pour Capalbio. Ton Jardin des Tarots, j'avais si peur qu'il ne soit pas aussi extraordinaire que dans mes rêves ! J'en avais tant entendu parler, j'avais vu des reportages à la télévision, dans des magazines, je possédais un livre sur lui, et je craignais que la réalité ne fût point à la hauteur... Miracle de ton talent, ô ma chère Niki : dans le chatoiement, - les rapports du noir et du blanc, de la polychromie - , dans le pimpant, l'étoilé, le scintillant, le brisé, l'arrondi, le spécifique et l'aléatoire, cette étincelante construction, - unique, joyeuse, en arcades, colonnes et bâtiments aux murs courbes, dômes ou seins de céramique, de verre, de reflets, cette fantasmagorie mêlant dragon, soleil, diable, fou, pendu, justice, tour de Babel - , a joué devant mes yeux éblouis une sonate en émotion majeure !
J'ai l'air d'exagérer ? Oh non, ma très chère Niki... Ton oeuvre, opulente, est inscrite en moi, poétique, forte... inoubliable. Tu t'es éteinte, hélas, en Californie, le 21 mai dernier. Peut-être souhaitais-tu rejoindre le magicien d'autrefois, Jean Tinguely ? Souviens-toi, en 1991. Pour ton ancien compagnon, à Lineart, à Gent, un exceptionnel stand déployait machines et rouages... vibrants de vie. Tu étais présente, également : l'on vendait des flacons magnifiques, qui t'aideraient à avancer, dans ce projet pharaonique, ce site du bout de l'Europe, d'art imaginaire, contemporain, brut, qui n'était pas encore ouvert au public.
Plus jeune, lorsque je découvris à côté de Beaubourg la fontaine Stravinsky, - comme celle, ensuite, de Château-Chinon, ou le Cyclope, à Milly-la-Forêt -, dans leur mouvement perpétuel, ces hautes figures enflammèrent ma perception, me revigorèrent... Me font toujours palpiter.
Toi qui exposas dès 1956, à St Gallen, en Suisse, tu avais osé refuser tout ce qui pouvait porter la marque d'un quelconque académisme, te permettant de tirer sur les toiles, les hommes (ton père, notamment : en témoigne l'autobiographie si touchante, "Remembering 1930-1949"). Surtout tu fusillais les conventions, quelles qu'elles fussent...
Tu n'es plus, chère, très chère Niki, artiste populaire, libre. Mais tes admirateurs peuvent sentir ton coeur frissonner, dans tous les grands musées du monde, et en Toscane, pour l'éternité, en ce lieu enchanteur, exubérant, géant, avec vue sur la mer... La carte n°XIII, ne l'oublions pas, pour chacun d'entre nous est la même : la mort.

Anne Poiré

Le jardin des Tarots

Toscane