Le magazine littéraire de juillet-août 2001
Un extrait de cette prose poétique ?
Parce qu'onctueux ses effleurements ses cajoleries parce que bavards ses embrasements parce que confidences parce qu'embrassements articulations cachotteries en catimini dans la chambre déserte
illimitée
poursuivant la germination l'ensemencement hardie traversée immobile parce qu'il flatte les poitrines les bouclettes les toisons les yeux et les bouches voraces
j'aime l'homme parce qu'abondent les étreintes
exactement
(...)
Vingerkussen
Editions De Groote Beer. Revue Textes & Teksten, Teksten & Textes n° 2, ( aux côtés de Michel Voiturier, Yves Namur, Anne-Marielle Wilwerth, Pierre Halen, Michel Monnereau) avec une superbe couverture couleurs de Patrick Guallino, et une encre de Chine à l'intérieur...
OSER LE NOM "écrire c'est avoir affaire à la seule présence: I'absolu de l'amour - entendez l'absolu des corps" René Quinon Entrave ou lien ? Mystère. Ce qui retient c'est la rupture (de la langue) et l'accomplissement (des corps), c'est la manière de dire hors du discours donc uniquement par l'Écriture ce qu'il en est deçà: l'amour lorsqu'il n'est pas coupé de ses fibres lorsqu'il n'est pas coupé de ce qui l'anime et lui donne sens: les sensations qui électrisent, l'émotion qu'elles provoquent, lorsque celle qui écrit dit, ose dire sans chercher la provocation, sans non plus taire ce qui se passe: mais la retenue (qui efface la pudeur) est la seule façon de parler, la seule façon de faire sinon l'amour - du moins de "montrer" ce qu'il en est, par où ça passe et comment on ne peut s'en passer.
Seize "parce que" permettent ainsi de faire de tour de la "question" en ponctuant une sorte de chant: tout est dit de l'envie, du désir (même si ces mots ne glissent jamais - car trop sonores - dans la prose d'Anne Poiré ). Il en va ainsi de l'aveu du seul, celui que l'hétéro-lecteur ressent non comme un hommage - via un autre - à sa virilité, - d'ailleurs dans ce cas l'illustration de Patrick Guallino ( qui n'est pas pour rien dans cette affaire) et dont le style rappelle Cy Twombly sait ponctuer d'une naïveté feinte les propensions hallucinatoires de tout machiste-, mais parce qu'il voit là l'ultime hommage qu'il voudrait en retour faire à une femme, à la femme et parce qu'il sait aussi qu'il s'agit là de la seule "histoire": ainsi Anne Poiré réussit là où les romanciers se soucient uniquement de l'anecdote...
C'est pourquoi, grâce à l'auteur de "Pulpe doigts" tout est dit. Et ce parce que son langage se refuse à expliquer et se refuse aux effets. Ici les "parce que" n'induisent pas une relation causale, ou plutôt, si une relation de causes à effets est présente, cette relation est dite de manière à ce que les unes et les autres s'entrecroisent et s'imbriquent: il n'y a plus de pris et de prenant, d'agissant et de vagissant: juste cette interpénétration, ce mélange des genres dont témoigne, à titre d'exemple, ce court passage:
"j'aime l'homme parce que lourd parce que pieds bras majeurs annulaires index parce que les effluves fentes lèvres ". Celles et ceux qui ont aimé de tous leurs sens savent qu'il en est ainsi et jamais autrement. Qu'il n'existe par d'autre alternative et que POUR UNE FOIS, une fois seulement, l'écriture REND COMPTE de cet écart et de cette plénitude.
Anne Poiré possède ainsi la capacité d'éprouver-dire. Disons-le simplement: jamais une écriture n'a été aussi près de ce ressenti de l'amour lorsqu'il devient cet Absolu du corps que l'auteur fait éprouver au ralenti sans voyeurisme. Le livre de l'auteur n'est pas en effet de ceux qui se lisent "d'une seule main": il fait de l'être (masculin et/ou féminin) un être majeur et libre qui se rappelle à lui (à elle) qui se rappelle à être dans "l'envie d'pêtre en vie" (Beckett) et non de trouver de subterfuge.
C'est en cela que ce livre dans sa puissance et sa rapidité est un livre rare parce qu'intense. Il dit sans honte, sans provocation; il ne ment pas, il ne bavarde pas. Il crée même une langue syncopée et ample capable de nous faire entrer en symbiose avec un sens premier. Anne Poiré nous fait ainsi comprendre ce qu'AUCUN auteur érotique ou pornographique n'a pu nous apprendre et nous faire ressentir: l'amour n'a pas de lieu précis dans le corps, il n'implique ni rôles appris ni de "rigoles à foutre": il est un tout mais ce tout n'est pas une pure essence. Il se conjugue à coups de muscles, de muqueuses, d'orifices et d'aspérités, à coup de mouvement car il s'agit d'un opéra, d'un opéra "bouffe" où deux gourmandises se conjuguent.
Oui ce que Anne Poiré dit c'est qu'il s'agit d'un opéra et contrairement à ce que pensent les pornographes sans imaginaire cela ne commence pas avec ''l'introduction du morceau " (je m'excuse auprès de l'auteur pour cette trivialité qui convient si mal à son texte) sauf s'il s'agit du morceau de musique que deux êtres vont se jouer sur leur corps: à eux mêmes instruments et interprètes, "ni brut, ni doux" mêlant leur vie, et leurs envies, prenant, offrant, partageant, s'étoilant. C'est pourquoi dans "Pour une terre interdite", la belle collection dirigée par Paul Sanda, "Pulpe doigts" ( seul bémol, seul (petit) regret : le titre du livre. Il n'épuise pas le sujet mais le limite. Il ne laisse pas assez espérer ce qui se découvre dans des pages rarissimes), s'il ne fait pas exception à la règle domine un ensemble riche qui prend le plus souvent la littérature dite érotique à contre courant.
Jean-Pierre Levaray Pulpe doigt est vraiment très très bien, d'une sensualité brûlante...
Jean-Pierre Levaray (Cahier d')ECRITURES n°4, novembre 2000 : un court texte de Anne Poiré (illustré par Patrick Guallino). Un texte d'amour, pas véritablement érotique, mais d'où émerge une sensualité à couper le souffle et une déclaration d'amour à l'homme ( son homme ?) C'est plein de mots, d'images, de sensations (...)
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