Raja Quat'z'oeils et le chalet La Source
s'adresse à la jeunesse.Les moins de 12 ans, ou les plus de soixante-quinze ans, par exemple...
Ce roman, formé de 14 chapitres, et 21 880 mots, met en scène une héroïne, Raja, qui porte des lunettes extraordinaires, qui lui permettent de voir le monde avec poésie. Elle est aidée dans ses connaissances par le Grand Livre de l'école.En compagnie de son ami et étrange animal Tilionchapard, elle partage presque tous ses secrets, sur la forêt notamment, avec Pat, un jeune garçon brun qui vient d'emménager dans une maison voisine de son merveilleux chalet La source. Ensemble, ils vont vivre bon nombre d'aventures. Voici quelques chapitres de ce roman léger, écrit en 1996. Si vous souhaitez en lire la totalité, n'hésitez pas à me la réclamer.
1. Raja Quat'z'oeils et le chalet La source. A l'orée de la grande forêt de chênes, de résineux et de hêtres, s'étire un étroit chemin de grès rose mangé par les mousses, le long duquel poussent des rosiers sauvages, en fleurs toute l'année.
Ce grand "S" conduit à une charmante maisonnée dont le toit se confond avec les sapins.C'est ici qu'habite Raja Quat'z'oeils.
Au chalet La source .Ce nom est vraiment bien trouvé : un ruisseau merveilleux coule à l'arrière de l'habitation. Il se transforme parfois en torrent enchanteur.
La proximité de l'eau suffit à rafraîchir, l'été.
Raja y patauge souvent, y compris d'ailleurs bien avant les fortes chaleurs.
Parfois même l'hiverElle a construit un petit pont de bois, avec des rondins, et lorsqu'elle traverse, elle passe d'un continent à l'autre : l'Asie ! L'Afrique ! L'Europe ! L'Amérique ! L'Australie
C'est une grande voyageuse !Raja est une petite fille extraordinaire.
Formidable.
Ce qu'il y a de plus fantastique en elle, c'est sa vue.
Il n'existe pas dans le monde entier une seule loupe, un seul microscope, un seul périscope aussi puissant que ses deux yeux et ses lunettes réunis.
Elle est même capable de voir l'invisible, si elle en a envie.
Et cette lubie la prend de temps à autre.Ce qu'il y a d'étonnant, également, c'est son intelligence.
Raja Quat'z'oeils est la fillette de neuf ans la plus forte du cerveau de toute la région.
La petite fille la plus géniale du pays tout entier sans doute. Et peut- être même au monde ?La première fois que le village l'a vraiment compris, c'est lors de l'accident de Joe le Bûcheron.
Joe le Bûcheron est un immense monsieur barbu, très grand, très musclé.
Son ami Dick le Tatoué est comme lui employé par l'Office National des Forêts pour s'occuper des arbres.
Dick le Tatoué est certes plus fort que Raja Quat'z'oeils, mais même avec l'aide de Joe le Bûcheron, il est loin d'être aussi malin qu'elle !Joe le Bûcheron était monté en haut d'un arbre gigantesque, un spécimen magnifique, incroyable, multicentenaire. Et là-haut, tout à la cime, il sifflotait.
En bas, Dick le Tatoué, toujours aussi étourdi, ne l'avait pas vu.
Il sciait du bois, ici et là.Il ne pouvait pas entendre son collègue, parce qu'il était perdu dans ses pensées, sans faire attention à quoi que ce soit d'autre que ses problèmes personnels : irait-il voir le match de football opposant les Verts et les Rouges ? Ou bien resterait-il à la maison pour fêter l'anniversaire de sa fillette ?
Cruel dilemme !Armé d'une tronçonneuse, puis d'une grosse hache, il s'attaque, -sans sortir de ses préoccupations - , au tronc d'un bel arbre
Bien sûr, c'est celui sur lequel se trouve Joe, confortablement installé à la fourche de plusieurs grosses branches, son harmonica entre les lèvres, rêveur
C'est tellement haut, tout là-haut, que le bûcheron ignore tout des périlleuses initiatives de son ami Dick le Tatoué.
Ou plutôt le chant de la scie lui parviendrait bien, s'il n'était pas totalement concentré sur sa propre musique !Mais l'inconscient ! -, il n'imagine pas que c'est son sympathique perchoir que Dick est en train d'abattre !
Evidemment !
C'est pourquoi il est trop tard pour éviter la catastrophe quand tout à coup Joe le Bûcheron sent son solide fauteuil d'écorce naturelle vibrer, trembler, vaciller, puis glisser.
Il va se rompre le cou !Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh ! ! !
Il pousse un cri prodigieux, et se retrouve les quatre fers en l'air, comme dans un film au ralenti, les jambes emmêlées dans ses bras, la tête plus bas que ses fesses, tout tourneboulé par la chute
Puis il s'abat lourdement, à même le sol.
L'arbre terrassé le recouvre, massif.
L'homme, allongé, ne bouge plus.
Tout son corps est replié sous les branches comme un vieux papier chiffonné.En hurlant, Dick le Tatoué va aussitôt chercher de l'aide.
Tous les hommes du pays viennent à la rescousse, et tentent de soulever le poids qui écrase le pauvre géant.
" - Oh, hisse ! Ooohhh, hisse ! Oooooooohhhhhhhhh, hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiisssssssse ! "
Tous tirent, poussent, font ce qu'ils peuvent, au maximum.
" - Et hop ! "On dit bien que quand on est nombreux, on est plus fort.
Monsieur le maire, avec son écharpe tricolore tendue sur son gros ventre, tient un sifflet entre ses dents, pour indiquer le moment où ils doivent, tous ensemble, redresser le tronc.
Les mamans pleurent, et l'on a déjà appelé une ambulance grâce au talkie-walkie de monsieur Soignetout, le docteur. Mais pour mettre Joe le Bûcheron sur la civière, il faut d'abord pouvoir le dégager !Les hommes du village se placent en silence autour de l'arbre et unissent leurs forces au signal du maire.
Leurs traits se crispent.Quelle besogne !
Leur visage est tout rouge.Ils transpirent à grosses gouttes.
" A la une, à la deux, à la trois "
Leurs muscles saillants semblent durs comme du bois." Feu, partez ! "
Tous veulent vraiment soulever ce terrible poids.
Surtout Dick le Tatoué, rongé par le remords." Han ! "
Ils forcent. Le feuillage frémit, commence à bouger tout doucementPoum !
Un grand monsieur à moustaches de gaulois s'effondre de tout son long, suivi par d'autres. Leurs muscles ne répondent plus.Hélas Tout a été tenté inutilement !
Impossible de bouger d'un millimètre, de la base au sommet, la terrible masse végétale, qui broie Joe le Bûcheron.
Il reste immobile et grimace toujours de douleur.
Il gémit. On n'entend que ses plaintes dans toute la forêt."- Aïe, aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaïïïïïïïïïïïïïïïïe ! ! ! "
D'un coup bref monsieur le maire ponctue beaucoup d'autres tentatives.
Il faut tout essayer pour dégager le corps du blessé, presque entièrement écrasé sous l'arbre qui l'a projeté au sol."- Aïe, aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaïïïïïïïïïïïïïïïïe ! ! ! "
Quelle horreur !
Joe le Bûcheron crie si fort que tous les animaux s'affolent, fuient, ou font comme ce faon très curieux venu observer ce qui se passe d'un peu plus près." - Ouillouillouillouillouillouillouillouillouille ! ! ! "
Joe le Bûcheron gémit.
Il a d'ailleurs perdu connaissance maintenant, et se plaint sans le savoir.
La forêt résonne de ses râles inarticulés.
C'est horrible.
Même le feuillage des plus hauts chênes semble triste et prêt à pleurer.
Il faut l'aider !Les hommes soufflent, bandent leurs muscles. Chacun veut participer au sauvetage de Joe le Bûcheron.
En vain.
Ce tronc est si énorme, si lourd, si vieux, que personne, - même tous les papas les plus forts réunis - , ne pourra jamais le soulever !
Par chance, Raja Quat'z'oeils joue justement du côté de l'esplanade aux rochers, une clairière qui n'appartient qu'à elle.
Bien sûr, c'est très loin de l'endroit dont on vient de parler. Mais Raja n'a-t-elle pas la meilleure vue au monde ?Par conséquent, malgré la distance, elle distingue parfaitement une agitation inhabituelle dans la zone de l'accident.
Elle s'y rend au plus vite, et en chemin perçoit de plus en plus nettement d'étranges cris.
"- Aïe, aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaïïïïïïïïïïïïïïïïe ! ! ! " , entend-elle.
D'autres fois, c'est :
" - Ouillouillouillouillouillouillouillouillouille ! ! ! "En arrivant enfin sur les lieux du désastre, elle découvre l'ampleur des dégâts.
" - Quelle horreur ! Ce bel arbre abattu ! Yohhh, qui a osé l'abîmer ainsi ? ! "Heureusement, personne ne lui répond.
Sans quoi, elle n'aurait peut-être jamais daigné venir en aide à l'assassin à végétaux !D'un coup d'oeil, Raja saisit ce qu'il se passe.
Elle se souvient d'une page du Grand Livre de son école. Il y avait un accident assez semblable Voyons voyons Comment les héros se débrouillaient-ils, déjà ?
Elle observe soigneusement l'extrémité du tronc reposant sur un rocher de grès rose assez élevé pour pouvoir permettre de glisser une autre ramée, afin de faire levier. Une branche même pourrait suffire, à condition qu'elle soit solide.Raja assure avec certitude qu'elle va sauver Joe le Bûcheron.
Malgré la gravité de la situation, des hommes qui ne sont pas du village ou connaissent mal Raja Quat'z'oeils rient, se moquent de cette fanfaronne.Monsieur le maire appuie sur son gros ventre comme sur une couette de plumes, son doigt rentre et rebondit.
C'est toujours ainsi qu'il réfléchit.Joe le Bûcheron pousse un gémissement à fendre l'âme, il a mal, il souffre énormément.
" - Aaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh ! ! ! "Il n'y a pas une minute à perdre.
Rien ne coûte d'essayer, puisque de toutes façons personne d'autre ne propose la moindre solutionRaja repousse gentiment les hommes inutiles.
D'un coup d'oeil, elle choisit l'angle exact nécessaire à la réalisation de son idée.
Elle attrape une grosse tige déjà cassée sur le sol, la fait glisser d'un seul mouvement, puis coulisser : elle l'utilise selon son plan.
Tout le monde retient son souffle.
Sans forcer, il suffit maintenant de faire basculer l'arbre allongé autour du point d'appui.Ça marche !
Hourra !
Hip hip hip hourra !
Vive Raja Quat'z'oeils !C'est la fête autour d'elle, sacrée championne, capable de sauver Joe le Bûcheron quand tous les messieurs réunis du village n'y parviennent pas ! Tout cela parce qu'elle a vu exactement où il fallait faire pression pour que se redresse le tronc
Elle est capable de soulever un arbre à elle toute seule, grâce à ses bons yeux !
Aussitôt l'on retire le blessé.
On peut le conduire à l'hôpital, où il sera bien soigné.
Lorsque le maire, un doigt enfoncé dans l'oreiller de plumes qui lui tient lieu d'estomac, veut remercier Raja Quat'z'oeils, cette dernière est en train de s'insurger contre Dick le Tatoué, qu'elle menace de ses petits poings serrés et qu'elle insulte avec beaucoup d'imagination.
On vient de lui expliquer qui est coupable de la destruction de ce si bel arbre.
2. Nouveaux voisins. Non loin du chalet La Source, se trouve une petite maison toute blanche, aux volets verts découpés en forme de coeur.
Depuis quelques jours à peine sont arrivés là un papa, une maman, ainsi que leur fils chéri, Pat.Ce garçon très brun pleure presque sans discontinuer depuis que le gros camion de déménagement les a abandonnés au milieu de cette grande forêt, qu'il imagine hostile.
Il regrette la belle ville dans laquelle il demeurait auparavant, le terrain de jeux, ses camarades de palier
Il y avait de nombreux enfants dans sa résidence, et dans le quartier.
Ici, il est seul, tout seul.
Il ne connaît personne.Il ignore encore que quelqu'un d'autre habite là.
Il ne sait toujours pas qu'il a désormais la plus extraordinaire des voisines.Les nouveaux habitants de la petite maison blanche aux volets verts, juste à côté du chalet La source, sont très gentils, et leur fils est fort bien élevé : Pat ne crache par terre, il ne rote pas, ni n'offre des concerts gratuits de pets.
Il range parfois sa chambre.
Au moins une fois par an, avant l'arrivée du père Noël.Et il obéit presque toujours aux suggestions de sa maman.
Enfin, dans son ancienne école, il n'embêtait jamais les filles.
Ce n'est pas lui par exemple qui aurait eu l'idée de les pincer, de leur tirer les cheveux ou de leur lancer de petits cailloux en cachette de la maîtresse
Il est juste un peu curieux Tout l'intéresse. Ce qui finalement n'est pas vraiment un défaut !En plus, il ne bougonne que quand il n'est pas content, - d'ailleurs cela lui arrive rarement. Il ne fait aucun caprice, ne tape pas du pied.
Simplement il n'est pas très courageux. Mais il ne faut pas le dire, il n'en serait pas très fier !Pat traîne tristement dans son nouveau jardin.
Il se lamente, le coeur gros.
Il est affligé de ne plus être entouré de tous ses copains.
Ses parents ne lui ont pas demandé son avis lorsqu'ils ont choisi de venir s'installer ici, ils l'ont décidé tout seuls, les vilains !
C'est affreux.Pat est au désespoir !
En plus, on s'ennuie toujours au bout d'un petit moment quand on n'a personne avec qui s'amuser.
Ne lui restent que ses souvenirs, et ses yeux pour pleurer !Le garçon brun se demande en soupirant ce qu'il va bien pouvoir faire de ses journées.
Quelles vacances !
Langueur et ennui assurésC'est juste à ce moment que la large baie du chalet voisin, qui donne sur la terrasse, est poussée. Et une petite fille apparaît.
Une petite fille, c'est vite dit !
Pat n'a jamais vu - quelqu'un ? quelque chose ? - d'aussi étrange !Raja Quat'z'oeils est sur le point d'aller faire sa promenade en forêt, comme chaque jour.
A quoi ressemble-t-elle, si tant est qu'on puisse la décrire ?D'abord le garçon ne voit qu'une monture étrange, des lunettes incroyables !
Et du coin de la branche gauche, pendouille irrégulièrement une canne ! ! !
En effet, afin d'avoir les mains libres, Raja Quat'z'oeils a accroché à ses lunettes de plastique rouge et jaune un bâton spécialement réservé à la chasse aux serpents.Sa monture ?
Imagine un soleil pour l'oeil gauche et une énorme fleur ennénupharée pour le droit, - comme un coquelicot épanoui. A ces deux incroyables taches jaune d'or et rouge vif, est attaché un alpenstock sculpté, tout torsadé.
Un alpenstock, c'est une merveilleuse canne, idéale pour flâner en toute sécurité lors des excursions, et même pour les toute petites promenades quotidiennes comme celle envisagée aujourd'hui par Raja Quat'z'oeils.A vrai dire, Pat distingue surtout d'abord une masse bizarre et indéterminée.
C'est une silhouette comme jamais il n'en a vue !Et cette forme étonnante s'agite en tous sens. Elle s'ébroue comme un petit chien.
Une guêpe l'aurait-elle piquée ?Sur sa tête, afin d'éviter l'insolation, trône un chapeau de paille mexicain de près de deux mètres de circonférence.
Oui, deux mètres.
Pat pourra le vérifier par la suite en le mesurant rigoureusement. Un chapeau de deux mètres de circonférence sur une petite fille enlunettée de neuf ans, ce n'est pas rien !Ce qu'il faut savoir, c'est qu'en dessous de cette extravagante coiffe, le visage est zébré de vert et de jaune, car Raja, prévoyante, sait qu'elle peut croiser des Indiens dans le Bois des Sorcières.
Le garçonnet aurait encore pu admettre qu'une petite fille de neuf ans porte un bâton suspendu à des lunettes rouges et jaunes en forme de soleil et de fleur, qu'elle disparaisse sous une énorme roue, qu'elle soit maquillée comme à carnaval
Mais ce qui vraiment le laisse ahuri et pantelant, c'est que Raja avance pieds nus, laissant apparaître les orteils les plus sales du monde.
Oui, elle avance ainsi, sans hésiter, crasseusement.Et à ses côtés, fier comme Artaban, Tilionchapard, vêtu de son costume de promenade, rugit royalement.
Car la tata Ida de Raja Quat'z'oeils lui a rapporté un animal étrange, de l'un de ses voyages, un félidé mâtiné de Tigre, de Lion, de Chat, de Guépard et elle l'a appelé ainsi.
Tilionchapard.
Parce que ce nom lui plaît !Parfois, pour faire plus court, elle le surnomme aussi Tilion, et d'autres fois, Chapard
Raja Quat'z'oeils a tout de suite vu son nouveau voisin.
Mais elle passe devant lui comme s'il était resté dans sa ville d'avant, au milieu des voitures, des feux rouges, de la pollution et des immeubles très très haut dressés dans le ciel.
Elle se met à réciter des vers en marchant, des poèmes magnifiques qu'elle connaît par coeur.
Ou qu'elle invente au fur et à mesure.
Elle en est bien capable !Pat, très intimidé, mais toujours aussi curieux, lui demande doucement ce qu'elle fait.
" - Yohhh, tu n'entends pas ? Je prononce de belles paroles. Ben quoi, ce n'est pas interdit que je sache ! "
" Yohhh, et même, à la réflexion, je crois bien que c'est autorisé ! ", ajoute-t-elle en hochant la tête. " Voire obligatoire ! "Bouche grande ouverte, il la suit de trente pas.
Finalement, parce qu'il a un petit peu peur de Tilionchapard, il reste encore plus loin derrière.L'animal est vêtu d'une tunique pourpre et dorée et d'un bonnet de nuit terminé par des clochettes argentées et tintinnabulantes.
Raja surveille du coin de l'oeil que le garçon brun est toujours là.
" - Dans le Grand Livre de mon école, yohhh, eh bien j'ai lu qu'il existe un pays où les gens ne se parlent qu'ainsi !
" Oui, ils n'ont pas le droit de se dire quoi que ce soit autrement qu'en poésie. ", lâche-t-elle.
" Même, si l'on ne fait pas des alexandrins, - des vers de douze syllabes - , eh bien on va directement en prison, sans autre forme de procès.
" Je m'entraîne sans cesse depuis. Je me répète sur tous les tons, pour le jour où j'irai là-bas : " Vou-dri-ez-vous mon-sieur-X-, me-fai-re- le-plein ? " "" - Mais pourquoi dis-tu : " - Me faire le plein ? " ", se risque Pat, fort intrigué.
" - Yohhh, en voyage, je le sais bien, on doit toujours acheter du carburant, et il faut absolument savoir le demander !
" Bien sûr, il n'est pas vraiment certain que le pompiste sera un monsieur X. Mais il faudra que je tombe sur quelqu'un dont le nom ne se prononce qu'en une seule syllabe, sinon c'est le pénitencier direct.
" C'est pourquoi j'ai prévu des variantes. Je les ai marquées dans un petit carnet vert. Depuis le temps, j'ai trouvé d'autres solutions : "Je voudrais du gazole, monsieur du Paupaul. " ou encore "Servez-moi je vous prie, d'un peu de cet esprit. " "Et Raja Quat'z'oeils récite d'un seul jet et sans respirer plus de douze mille et trois manières différentes de demander le plein sous forme d'alexandrins.
Pat soupire.
Lui qui ne parvient jamais à retenir un seul vers !
Il cherche activement dans sa tête comment s'adresser à cette étrange nouvelle amie.
" - Quel-est-donc-ton-nom-, ma-de-moi-sel-le-voi-sine ? ", prononce-t-il enfin le plus sérieusement du monde.Raja éclate de rire.
" - Yohhh, pas mal ton alexandrin ! Seulement moi, je n'appartiens pas au Grand Livre de mon école !" Dans mon pays, aujourd'hui , ce sont les octosyllabes, - les vers de huit syllabes -, qui priment. Et demain les vers libres "
Et elle ajoute :
" Je-m'a-ppe-lle-Ra-ja-Qua-t'z'oeils !" Alors c'est bien simple Pour te rattraper, yohhh, une seule solution : je t'invite. Viens jouer avec moi, cet après-midi, au chalet La source ! "
Et sans qu'il sache comment elle a fait, Raja a déjà disparu.Pat est impatient d'aller chez elle.
Décidément, ce déménagement réserve peut-être quelques découvertes étonnantes
Les vacances s'annoncent pleines de surprises !(...)
5. Un Tilionchapard averti en vaut deux.Aujourd'hui, Pat aimerait bien aller tremper ses pieds dans le cours d'eau qui file à l'arrière des sapins.
Raja Quat'z'oeils n'a pas entendu la fin de sa proposition, qu'elle est déjà en train de sauter dans le ruisseau, et splatsch, splatsch, splatsch, cela schpritse, cela schprutse, cela schprotse : elle éclabousse à qui mieux mieux.
Les voilà trempés, qui rient, pendant que Tilionchapard, alerté, surveille attentivement leurs jeux.Le fauve n'aime guère les liquides transparents, les flots et les mouillures.
Il observe de loin.
Il préfère les câlins.Son air frileux et inquiet amuse Raja et lui donne l'idée de faire un petit ponton, sur lequel installer un siège de jardin de plastique blanc, tel un trône, au milieu de l'eau, pour y transporter sa majesté le félin.
Mais ce dernier ne se laisse pas faire !
Pourtant les enfants ont orné son fauteuil de cérémonie de fleurs cueillies dans le grand champ sauvage qui longe la haie. Pat réalise même une petite couronne avec des tiges souples de roseaux, qu'il tresse comme des scoubidous.L'animal leur échappe et essaie de rentrer au plus vite dans le rassurant chalet La source .
Il souhaite se réconforter devant la cheminée, trouver refuge entre les pinces, les moteurs et les écrous de la machine à papouiller !Les enfants le suivent, l'attrapent par la queue, et Raja, assise sur son dos le dirige vers la passerelle glissante.
Au dernier moment, dévorée de remords, elle descend de sa monture, et le libère :
" - Allez, yohhh. J'ai lu dans le Grand Livre de mon école, qu'il n'est pas très gentil d'aller contre la liberté d'autrui et d'abuser de sa force. Nous ne sommes pas des tyrans ! Tu n'aimes pas l'eau, eh bien tant pis pour toi, mon cher Tilion-miaou-miaou. Je ne te forcerai pas. "Et les deux enfants retournent s'amuser seuls sur la plate-forme flottante, peu stable.
Par leurs jeux joyeux, ils narguent le tigre qui les observe toujours.Ils tiennent un moment, puis titubent, vacillent.
Raja perd pied, dérape. Elle s'accroche à son ami, lequel bascule les fesses les premières dans l'eau claire. Les rondins chavirent, emportés par le courant.
Ils rient aux éclats et tout résonne de leur bonne humeur.L'un des morceaux de bois reste pris dans les rochers, juste à côté du grand saule pleureur planté par la maman et le papa de Raja, quand cette dernière était toute petite.
Pat s'installe maladroitement sur lui, déséquilibré au moindre mouvement Raja Quat'z'oeils s'agrippe à ses épaules, et se métamorphose en corsaire, bien décidée à dérober sa merveilleuse cargaison de chocolat, de café et d'or.La fillette a parfaitement vu que les rochers ne maintiennent plus qu'un tout petit bout des vestiges de la passerelle. Trébuchant dans l'eau, elle glisse volontairement, et fait perdre l'équilibre à l'équipage tout entier du splendide trois mâts.
Voilà nos rescapés du terrible naufrage qui nagent vers le radeau de survie. Ouf, les requins ne peuvent plus venir les dévorer !Soudain, Raja indique un coin paradisiaque :
" - Allons jusqu'à cette île déserte au milieu des flots ! Yohhh, ce n'est pas trop loin ! "Elle désigne à Pat un promontoire rocheux, gigantesque, entouré d'eau de tous côtés.
Une fois arrivés là-bas, ils peuvent à peine y tenir tous les deux ! C'est Robinson Crusoé qui serait étonné de toutes leurs idées pour survivre !Après le délicieux goûter qu'ils prennent sur leur île, les deux enfants se lassent un peu de vivre dans cet espace minuscule.
Ils s'en échappent sur un radeau de fortune qu'ils fabriquent vaillamment.Sur le rivage, les voilà à quatre pattes dans l'eau, en train de faire la plus amusante des batailles navales, à l'aide de coquilles de noix peintes à l'intérieur et à l'extérieur, et dans lesquelles ils plantent un joli mât coloré.
Le vent des globes, la traversée de l'Atlantique en solitaire, tout y passe !
Pat semble décidément très doué, puisqu'il réussit à faire gagner régulièrement tous ses bâtiments, barques, paquebots et cargos.Du rivage, Tilionchapard, un peu jaloux de cette bonne humeur qu'il ne partage pas, observe leurs jeux.
Toutes les horreurs auxquelles il a échappé le font frissonner.Heureusement, Raja n'est pas comme certains enfants qui éprouvent du plaisir à torturer les animaux.
Elle au moins le respecte, admet ses réticences, ses différences ! Ça c'est une maîtresse formidable !Peut-être vaudrait-il mieux retourner du côté de la machine à papouiller ?
Mais les rires des gais lurons le retiennent.Raja fait maintenant la planche, allongée voluptueusement à la limite de la surface de l'eau, et Pat la tire par les pieds comme un petit remorqueur.
Le garçon nage un peu, patauge plutôt, s'ébat, car le niveau n'est guère profond, pendant que Raja, abandonnée sur l'île déserte où un naufrage l'a à nouveau conduite, est assaillie par des bêtes féroces, qu'elle a voulu observer de trop près. Elle appelle à l'aide.
Heureusement pour elle, l'intrépide Pat vole à son secours. Il éloigne courageusement les fourmis qui chatouillaient la plante des pieds de sa merveilleuse amie.Ce doit être agréable tout de même, puisqu'ils semblent si heureux dans l'eau fraîche !
Et puis, il fait particulièrement chaud aujourd'huiTilionchapard s'interroge.
Mais il préfère nettement les câlins secs aux bisous mouillés !Pourtant ce gai tapage l'attire, le ravit.
Le tente.D'une patte prudente, loin des deux rieurs déchaînés, Tilionchapard trempe précautionneusement l'extrémité de ses griffes dans le courant limpide.
Il frissonne d'angoisse et sent son coeur palpiter dans son poitrail.
Mais comme cette fois personne ne le force, il n'est pas aussi ému que tout à l'heure.
C'est pourtant vrai que cela fait du bien !Un peu plus loin, on entend la jubilation de sa maîtresse.
Le rire de Raja s'apparente à des cascades, des cataractes, des rapides. C'est un grand typhon de fraîcheur qui inonde tout sur son passage.
Ses éclats de franche gaîté, forment des multitudes de Niagara aux chutes diluviennes.
Tilionchapard est obligé de sourire derrière ses moustaches lorsque Raja exprime si bruyamment sa joie.
Et l'eau la met dans cet état : c'est donc que le danger n'est pas si grand !" - Regarde ! "
Pat, en se retournant, vient de découvrir que le chat-fauve a osé surmonter sa peur de l'eau, et, le nez en l'air, les babines aussi retroussées que lorsque la machine à papouiller fonctionne à plein régime, monsieur le tigre fait trempette fort courageusement.Il se plaint bien un peu, d'un rugissement furieux, lorsque des gouttes inattendues mouillent ses moustaches.
Mais dans l'ensemble, la crinière reposant sur une bouée qu'il a empruntée aux enfants pour plus de sécurité, Tilion semble heureux comme un prince." - Photo ! " crie Raja.
Et avec les doigts elle mime un appareil.Pat sourit pour l'éternité, il pose un peu.
Même Tilionchapard cesse de bougonner, afin de laisser une meilleure image de lui à la postérité.Tout de même, dès que la séance de pause est terminée, il s'empresse de retourner à l'intérieur du chalet La source.
La baignade a assez duré.
Une petite cajolerie ne lui fera pas de mal pour se remettre de tant d'émotions !(...) Et pour lire la suite ? N'hésitez pas, réclamez, je vous l'enverrai !