Chantal Roux

est une artiste d'aujourd'hui, qui vit dans la région lyonnaise, et est exposée,
notamment, par la galerie Victoria, à Aix-les-Bains...

 

Ce texte est paru dans la revue "Etoiles d'encre", n°27-28, page 53 à 55.
Il s'agit de la magnifique revue Femmes en Méditerranée,

aux éditions Chèvre-feuille étoilée,
avec beaucoup d'illustrations des oeuvres de de Chantal. 
Le thème de ce numéro est tout à fait passionnant : "des filles et des pères"


Pour tout renseignement sur la revue :
chevrefeuille1@free.fr


Chantal Roux

Oui, devant l'oeuvre de Chantal Roux, il convient de se laisser emporter par l'intensité, la couleur : avant la narration, avant le cadrage, avant le récit. À vif. Dans la chair du tableau !
Ce poète, peintre, est aussi curieusement photographe, par l'enchantement de sa création, et ce, heureusement, loin de tout cliché ! Cette Circé du photomaton offre paradoxalement un traitement brouillé, différé, comme si chaque recoin avait été beaucoup frotté, caressé, dans sa chambre noire intérieure. De l'acrylique, dit-elle, mais les opalescences, les textures presque froissées, s'enrichissent, - craies grasses ? , pastel ?-, et la pupille exorbitée, de profil, à la lucarne de la cage, hors d'elle, au vitrail des contrastes, se donne à admirer : depuis le jade du polo, le citrin canari du décor, tremble un très petit oiseau, si frêle, tellement blanc, au coeur des barreaux, qu'il captive et retient.
Dans ses toiles, là l'oeil ouvert, ici la paupière close, la paume en offrande, s'affichent des préparations jamais mates, unies, au contraire, des vibrations de valeurs : surgissent des personnages, toujours, au faciès grave. Chantal Roux, magicienne du daguerréotype contemporain, figure des membres pétrifiés dans leur mouvement, les doigts écarquillés : la patine, colorée, attire. Autour de la face chauve, dans l'arrière-plan, un ouistiti, fondu, là des plumes, d'étranges, mécaniques, rêves volants, avions qui vrombissent dans la pâte et la tête de l'aviateur. Qu'ils s'exhibent enlacés, qu'ils soient surpris dans le virevoltis d'un intime slow, d'un langoureux tango, - immobilisés, touchants -, ils sortent sans détour du quotidien, on le voit parfaitement, tous ces soucis, comme ils rongent, ces sourires, comme ils éclairent, dans le jour décapant...
Les vêtements, les objets, se révèlent à larges traits brossés, complexes rapports de tons. Et même lorsque le titre ne renvoie pas directement à des individus, - la chaise, la lettre anonyme - , ce sont des êtres qui s'imposent : homme brisé, dame stressée, et cette autre, à la fenêtre, l'avant-bras relevé, à l'équerre. Lignes de fuite : pour échapper à quels cauchemars ?
Chantal Roux interroge, scrute la tendresse : couples lovés, encastrés, l'un contre l'autre, l'un dans l'autre. La cravate, dans son fil ambré de cadmium répond à un fond impeccable, ni acide, ni trop doux. Les étoffes de l'une, de l'un, de carmin et de cyan, se font écho, unissent, et entourées par cet ensemble polychrome, voilà qu'au centre, en une diagonale évidente, le regard ne peut éviter la nudité des deux visages, collés, rehaussés, par du noir impérieux.
Souffre un fragile bonhomme à son bureau, le dos courbé, cassé, épuisé... Au premier plan, dans sa blancheur lumineuse, la page d'écriture, et puis derrière, dedans, des linéaments, lignes de vie, horizontales ou sinueuses, les phalanges, le nez, perpendiculaire aux yeux, et des signes encore... Les accessoires présents, parapluie rose, valise étiquetée, s'affirment masses expressives, droites prometteuses...
Parfois le propos devient plutôt métaphorique, métaphysique. L'altérité domine : avant, après, ombre et rayonnements, solitude, invasion, l'enfer et le paradis sur la terre, bonshommes rassemblés, à l'affût, dans le retrait ou bien l'abus de présence, comment savoir ?

Pareils à des instantanés, ces portraits : la femme découragée, portions de vie, tranche de pastèque, et dans un méli-mélo de rouge sanglant, de bleu aconit, volubilis, de vert émeraude, cernés de charbon, un mimi, dérobé à l'oubli, une porcelaine, avant que le temps ne l'ébrèche, un beau livre, immortalisés. Figés par l'artiste. Sauvés.
Chantal Roux creuse son environnement. Elle saisit sur le vif, en témoigne cette madame, les épingles à la main, décrochant le linge sec... Le pigment se métamorphose, couches juxtaposées : abrasée la matière, poncée, en strates successives, déposées.

limon
mêlées les sueurs
les ardeurs

corps de couteau
dans la réalité

de polaroïd
en contretypes

elle éternise
dans ce palais des glaces

de la peinture
fraîche

verrière

toute l'humaine
opaque condition d'épaisse transparence

 

Anne Poiré


On retrouve un large extrait de ce texte
dans le catalogue sympathique comme tout, coloré et vivant :

Chantal Roux artiste corps et âmes (2009)