Tout part de là,

et y revient.

 

est un article rédigé par Anne Poiré-Guallino pour la revue de l'APA, La Faute à Rousseau, publiée en février 2006, dans son numéro 41, pour le dossier "Le Nom", agrémenté d'articles de Philippe Lejeune, Sylvie Mouysset, Guy Mercadier, Jean-Jacques Nuel, Isabelle Mercat-Maheu, Lise Schmitt, Marie-Claude Fresnel, Sylvette Dupuy, Jacques Lecarme, Françoise Simonet-Tenant, Daniel Orler, Cattherine Viollet, Philippe Gasparini, Béatrice Jongy, Eliane Lecarme-Tabone, Marc Zaffran/Martin Winckler, Valclair, Silvana Cuomo, Denis Dabbadie, Véronique Montémont, Vincent de Gaulejac, Nathalie Mallet-Poujol, Jovita Noronha et Terezinha Pereira.

 

Le voici...

Nom d'un chien ! Mon père, catholique, pratiquant, laissait échapper cette expression, lorsqu'il était très en colère, - ou encore Nom d'une pipe !, et moi, fillette copiant sur lui, je ne comprenais pas du tout pourquoi papa pouvait prononcer cette jolie formule tonitruante, et moi non. Je me faisais gronder, si j'osais l'imiter. Surtout, je ne me doutais pas que sous l'animal ou l'objet du fumeur, c'était un Imprononçable, qui se cachait.
Ainsi, la question du nom, - le fait de dire, explicitement, ou de camoufler par des biais plus ou moins transparents -, était-elle déjà dans ma vie, au coeur de mes préoccupations ! Ensuite je me suis mise à écrire. Là, tout s'est encore compliqué, se dédoublant, en quelque sorte, puisque se posait soudain la responsabilité de nommer mes proches, - ou non. Et moi-même.
En ce qui me concerne, j'ai réglé le problème de manière simple : pendant des années j'ai fait comme Romain Gary, multipliant dans mon ordinateur des listes de pseudonymes possibles : Volcane, Anna Carmina, Rubis Humaniste, Ann Breschwiller, Ombre Turquoise, Anne Mac'Rousse, Brian O'Mac Ruth, Anne Colère, Flamme Graouilly, Cyanule Koléra, Volcanne Eropi, Anne Peintre, Alizarine, Indigo, Manganèse, Khaled, Galion, Anne Goulue, Gina Neuallno, Lionne, Anna Li, Nana Guelloni, Amaryllis, René Anpio, Reine Napo, Pseudonymia, Li-Anne Gulano, Gala Ninolune, Abdel Bedjaia, Silkeborg, Galistette, Prune, Serpenoise, Nanette, Cascatelle, O'Girl, Vitale, Gouaille... Jusqu'au jour où maman est venue me rendre visite. Je venais de démarrer ce qui serait un roman, à la San Antonio, dans son style truculent, au titre amusant : Pèle donc les pamplemousses. Quelle fierté ! J'étais ravie ! Je n'oublierai jamais la tête de ma pauvre mère, lorsque je lui ai lu les premières lignes de mon chef d'oeuvre en train de naître. Elle s'est décomposée. (Sans doute le lui lisais-je par pure provocation inconsciente, je savais bien qu'elle préférait Marie-Noëlle à n'importe quel polar !) "Dis, si tu es publiée, un jour, tu me le promets, tu changeras de nom, tu... tu ne le feras pas sous notre nom ?" Je n'ai rien promis, et je me suis jurée, en moi-même, que jamais plus je ne chercherai à changer Anne Poiré. J'avais publié, déjà. Parfois sous d'autres noms : j'avais endossé l'identité de quelque Bob Carhamel, Ambre Davini, Henri Haasp, Fabia Schnell, Camille Amadeus Colombetto... Je redevins alors Anne Poiré, sans hésitation !
Je ne pouvais utiliser mon nom de femme mariée, car j'ai beaucoup écrit sur mon artiste de mari, et un article signé Anne Guallino, portant sur Patrick Guallino, peintre et sculpteur, me semblait vraiment trop redondant. C'est donc grâce à ma mère que je me suis autorisée, par opposition, à ne plus me camoufler derrière des syllabes mensongères. Pour la fiction, mes "oeuvres". Mais pour ma vie ? Pour mes dépôts à la Grenette ? Au début, à l'APA, je ne savais pas trop qui j'étais, envoyant parfois des colis en tant qu'Anne Poiré, puis Anne Guallino, puis les deux noms, accolés, dans un ordre, et désormais l'autre... J'ai compliqué la vie de Michel Vannet, puis de Christine Coutard, par cet imbroglio qui traduisait bien le manque de clarté dans ma propre tête. C'est d'ailleurs Christine qui m'a finalement suggéré d'homogénéiser, en laissant apparaître les deux noms, celui avec lequel je suis née, j'écris, et celui que m'a donné mon mari.
L'autre problème, c'est lorsqu'on écrit à partir du matériau de sa propre existence. Forcément, à un moment ou un autre, on évoque des gens qui n'ont pas voulu être immortalisés par nos écrits, et pourtant, impossible de les passer sous silence... Je n'existe que dans mon rapport aux autres. Faut-il alors nommer Gertrude par son vrai prénom, se contenter de l'initiale, ou transformer, la "protéger", en la nommant Gudule ? Subterfuges possibles... mais insatisfaisants, me semble-t-il. Récemment, j'ai écrit un mail adressé à une quarantaine de proches et d'amis, pour évoquer une peur terrible qui a balayé ma vie. Je croyais avoir un cancer, j'étais convaincue qu'il allait mal se terminer, que j'allais mourir. Et j'ai lutté contre la peur, la terreur, en écrivant, souvent, à ce groupe ainsi constitué. S'est posé, à un moment ou un autre, la question de l'identité. Certains m'ont écrit pour me demander de ne pas les nommer. J'ai respecté leur voeu. D'autres ne l'ont pas exigé, mais n'ont pas manqué de me reprocher, après, d'avoir ainsi été aussi peu discrète à leur égard. J'en soupçonne quelques uns d'avoir regretté que je me contente d'indiquer leur prénom, ils auraient aimé être ainsi "immortalisés", par ces écrits pourtant réservés à un petit nombre. Complexe difficulté, que celle du nom. Tout part de là, et y revient. Car comment parler de soi sans nommer son environnement ? Comment pourrait-on me croire, si j'écris que P., mon mari, est merveilleux, ou X. ou Y. ou Z., alors qu'en réalité, c'est de Patrick, qu'il s'agit. Il me semble que même la réception du texte n'en est pas la même, selon que j'écris son prénom en entier, son initiale, ou que je choisis une appellation d'emprunt. Ainsi, je le répète, la fonction de l'armoire aux secrets, à l'APA, est essentielle : elle permet de dire, sans fard, ce qui peut sembler "explosif" aujourd'hui, mais, demain, ne le sera plus pour personne.

Anne Poiré-Guallino

 

Pour connaître mieux cette association, l'A.P.A.:

http://sitapa.free.fr

ou

La Grenette

01 500 Ambérieu en Bugey

ou encore

grenette@wanadoo.fr